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de Guizot dans l’ordre moral, son affaire de la réunion. Il ne songe pas à la « réunion » proprement dite, et se sent trop loin du temps de Leibniz et de Bossuet pour cela ; mais il voudrait au moins une manière de réunion libre, une alliance défensive, un modus vivendi plein de déférence et d’estime cordiale, sinon de concorde. Il voit, salue et chérit la renaissance religieuse générale, et sans acception d’église, qui s’est produite depuis le commencement du XIXe siècle, et qui a duré, qui a été comme la marque de ce siècle, marque bien superficielle, je crois, et destinée à s’effacer assez vite, mais que personne n’a pu nier. Il la voit dans l’église catholique, dans l’église protestante et dans la philosophie indépendante. Il l’encourage partout ; et il dit : « On peut s’entendre, ou du moins on peut ne pas se combattre. » Il tend la main d’une part au catholicisme libéral et d’autre part au protestantisme orthodoxe, comme relativement voisins l’un de l’autre, et pouvant plus que d’autres groupes, sinon s’unir, du moins se supporter. Il tente là une sorte de conjonction des centres.

Cela dès 1838. C’est alors qu’il écrivit : « Qu’ils écartent la controverse ; qu’ils s’occupent peu l’un de l’autre et beaucoup d’eux-mêmes et de leur tâche ; le catholicisme et le protestantisme vivront en paix, non-seulement avec la société nouvelle, mais entre eux. Je sais que cette paix ne sera point l’unité spirituelle dont on a tant parlé… Mais l’harmonie dans la liberté, c’est la seule unité à laquelle ici-bas les hommes puissent prétendre ; ou plutôt c’est pour eux le meilleur, le seul moyen de s’élever de plus en plus vers l’unité vraie… L’harmonie dans la liberté, c’est l’esprit chrétien. » Car les Eglises doivent y songer, à se combattre les unes les autres, c’est chacune soi-même qu’elles ruinent, c’est l’ennemi commun qu’elles soutiennent et qu’elles enrichissent : « Catholiques ou protestans, que les chrétiens en soient tous convaincus : ce que le catholicisme perdrait en crédit et en empire dans les sociétés catholiques, ce que le protestantisme perdrait en crédit et en empire, dans les sociétés protestantes, ce ne serait pas le protestantisme ou le catholicisme qui le gagnerait ; ce serait l’impiété. C’est donc pour tous les chrétiens, quelles que soient leurs dissidences, un intérêt évident et un devoir impérieux de s’accepter et de se soutenir mutuellement, comme des alliés naturels, contre l’impiété antichrétienne. » — Il s’habitue à parler aussi, comme un conciliateur impérieux, car impérieux, il l’est toujours, qui voudrait embrasser, pour la resserrer en un faisceau puissant, la chrétienté tout entière : « C’est à l’église chrétienne, à toute l’église chrétienne que je pense. C’est de l’église chrétienne, de toute l’église chrétienne que je veux parler. »

Il en arrive à rêver un catholicisme libéral partant de Rome