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c’est précisément le juste milieu, le milieu, tout au moins, où, d’instinct, les hommes tendent et se ramènent.

Or, et c’est ici le point important, l’opinion n’est pas toujours la volonté générale ; tant s’en faut, et très souvent la volonté générale vient se briser, ou, pour mieux dire, s’émousser et s’amortir sur l’opinion. On sent cela dans les pays de suffrage universel, ou de suffrage très étendu. Les élections ont un sens, et l’opinion en a un autre. Les élections demandent une mesure très décisive, très radicale ; l’opinion demande, inspire, suggère, et, peu à peu, et même très vite, impose une mesure très modérée, dans les temps, au moins, de calme relatif, et de vie nationale normale et régulière. — Et la volonté nationale s’accommode de cette sorte de déception ; elle ne proteste point avec véhémence, elle ne crée point par son mécontentement un malaise social ; elle recommence, seulement, aux élections suivantes, et l’opinion recommence aussi. L’opinion est ainsi, non point l’expression de la volonté générale, mais le modérateur de la volonté générale.

Cela tient à ce que l’opinion c’est ce qu’on dit ; et ce qu’on dit est déjà quelque chose de plus intellectuel que ce qu’on veut ; c’est déjà une pensée, sinon une idée, au lieu de nôtre qu’un désir confus, une passion, une tendance ou une impatience. La volonté nationale exprimée par l’opinion, c’est la volonté nationale déjà épurée, spiritualisée et corrigée. Comme la pensée trouve dans le mot son expression, mais aussi, et peut-être encore plus, son correctif, de même la volonté populaire trouve dans l’opinion une voix, mais encore plus une interprétation discrète et élevée.

Cela tient encore à ce que l’opinion, étant ce qu’on dit, est essentiellement ce qu’on ose et ce qu’on peut avouer. Ce qu’il y a de malsain et de mauvais en nous, nous ne le disons point, ou nous le mettons dans des lettres anonymes ; ce qu’il y a de mauvais et de malsain ou d’odieux, dans la volonté populaire, l’opinion ne l’exprime pas. Elle n’exprime que des idées, et, relativement, des idées honnêtes. Elle a son hypocrisie, elle aussi, et souvent elle déguise en idées ce qui n’est que passions, avidités, colères et rancunes ; mais encore est-elle forcée de le déguiser en idées. Elle ne peut procéder que par pensées ; c’est son office et sa nature. Ce que la volonté générale a de mauvais, elle pourra donc le mettre dans des bulletins de vote, qui sont les lettres anonymes de la vif sociale ; mais l’opinion ne l’exprimera pas ; elle exprimera quelque chose d’analogue, mais quelque chose qui sera déjà beaucoup plus noble, beaucoup plus désintéressé, beaucoup plus pur, au moins beaucoup plus avouable.

Pour ces raisons, il y a donc deux choses très différentes : la