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qui est l’égalité démocratique, et Guizot dans une solution à peu près aussi simple et aussi incomplète, qui est le pouvoir exercé par un des groupes sociaux à l’exclusion de tous les autres.

Cependant c’était beaucoup d’avoir bien compris au moins qu’entre la foule immense et l’élite très peu nombreuse, peu à peu, au cours du développement historique, quelque chose, qui autrefois n’existait pas, avait paru, et que ce quelque chose était un élément historique et politique d’une importance exceptionnelle. Ce quelque chose, Guizot l’a bien vu. Il l’a vu seulement doué d’une sorte d’unité qui était factice, qu’il lui attribuait, et qui, peut-être, l’a trompé.


III

Son juste milieu historique étant trouvé, son juste milieu politique l’était aussi. Sa politique, c’est que la classe moyenne doit gouverner. Elle doit gouverner par l’opinion d’abord, puisque c’est elle qui la fait, puis par une participation directe au maniement des affaires publiques. Gouvernement d’opinion, et gouvernement représentatif, voilà la double forme du gouvernement moderne, ou plutôt gouvernement d’opinion régularisé, rendu normal et précis par le gouvernement représentatif, voilà l’unique forme du gouvernement chez les modernes.

Mais encore comment, dans quel sens, dans quel esprit, par quels principes cette classe moyenne doit-elle gouverner ? Elle est elle-même, elle est en soi le juste milieu national ; quel juste milieu de pensée générale et quel juste milieu de tempérament politique doit-elle adopter et maintenir ? — Elle doit être raisonnable et elle doit être libérale.

Elle doit être raisonnable, entendez par là qu’elle doit se souvenir que c’est à la raison de gouverner le monde, que c’est à la raison qu’appartient la souveraineté. A l’éternelle question : où est la souveraineté ? Guizot comme Royer-Collard, comme Constant, comme Montesquieu, répond : il n’y a pas de souveraineté. Il n’y a pas de souveraineté parce qu’aucune volonté n’est légitime en tant que volonté. Il ne suffit pas de dire : je veux, pour avoir raison, et pour sentir et convenir avec soi-même qu’on a raison. Nous avons tous le sentiment intime que notre volonté ne devient légitime que si elle se subordonne à une autre faculté qui est en nous, qui consiste à voir juste. De même ni un homme, ni une classe, ni tout le monde n’a le droit de vouloir sans autre autorité que sa volonté même. En d’autres termes, ni un homme, ni une classe, ni tout le monde n’est souverain. C’est un sentiment et préjugé aristocratique, et c’est le même sentiment et préjugé aristocratique