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gouvernement disant au citoyen : a Aidez-moi. La machine est trop compliquée. Elle passe mes forces. D’autre part, elle vous écrase, dites-vous. Entrez-y. Apportez-moi votre part et de lumières, et d’examen, et de contrôle, et d’invention et de force, et d’autorité. Vous y gagnez d’être gouvernés, en une grande mesure au moins, par vous-mêmes. J’y gagne d’être guidé, sans renoncer à continuer d’être guide ; j’y gagne d’être éclairé ; j’y gagne d’être déchargé de l’entière et absolue responsabilité ; j’y gagne surtout de ne pas laisser échapper et comme languir, parmi beaucoup de non-valeurs, certaines forces, inconnues hier, se révélant aujourd’hui, qui eussent été perdues pour le bien public et qui vont être tournées à son profit. »

Ce premier pas n’est qu’un premier pas, encore que de tous ceux qu’on peut faire il soit le plus considérable. C’est partout qu’il faut appliquer ce principe. Il faut que, partout, dans les grandes institutions administratives, une place soit faite au citoyen, une place de contrôleur, d’auxiliaire et de coopérateur, une place d’où il surveille, où il aide, où il participe à la responsabilité, surtout où il s’exerce et s’instruise. Il faut que le gouvernement soit pénétré partout par le gouverné. C’est là qu’est la vraie liberté du citoyen. Elle consiste à faire partie d’un gouvernement qui n’est pas fermé, muré et grillé. Elle consiste à voir de près les affaires publiques et à y mettre la main. Loin que la liberté soit entre le citoyen et l’État un fossé devant lequel l’État s’arrête ; elle est entre le citoyen et l’État le fossé comblé, le pont-levis baissé et la libre et constante communication et pénétration rétablie. Il n’y a pas, comme certains disent, la liberté proprement dite, et la liberté politique. Il n’y a que la liberté politique. Il n’y a que l’homme, citoyen libre quand il participe à la chose publique, esclave quand il n’y participe pas, sécessionniste, c’est-à-dire tributaire, quand il fait consister sa liberté à se tenir à l’écart.

Tel est le rôle des classes moyennes. Faire l’opinion ; — gouverner selon la raison combinée avec la tradition ; — gouverner libéralement, c’est-à-dire faire pénétrer dans le gouvernement le plus d’initiatives individuelles possible.

Cette théorie politique est excellente. Elle est d’un historien, d’un philosophe politique réaliste, et d’un homme d’état. Elle a quelque chose de large et en même temps de vigoureux et de puissant. Bien entendue, dans toute son ampleur, dans toute son extension, il me semble bien qu’elle tiendrait compte de tout et répondrait à tous les besoins vraiment légitimes des sociétés modernes. Elle est dédaigneuse, et peut-être un peu trop, des « chimères, » comme a dit Guizot toute sa vie, avec une amertume toujours croissante, des pensées et des doctrines trop personnelles, et par