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conséquent un peu excentriques, de toutes les choses qui ne sont pas d’application et de pratique immédiates. Elle est dédaigneuse aussi, et beaucoup trop, du sentiment confus de la foule, que Guizot n’admet que devenu « opinion, » que transformé en idées par une classe réfléchie et pensante, de ce sentiment confus de la foule qui, sans doute, ne peut servir de guide, puisqu’il est confus d’abord, et puisque, en outre, il est de peu de suite, qu’on peut donc écarter, ajourner, faire attendre, renvoyer à une plus longue élaboration de lui-même et à une plus nette conscience de soi, mais qu’encore il est d’extrême importance de connaître, de suivre attentivement, de surveiller sans cesse, d’interroger même, et qu’il est d’extrême péril d’ignorer. C’est une théorie trop centrale, pour ainsi parler, et trop juste milieu, qui prétend trop ne connaître et ne prendre que la grande route ; mais ce n’est pas une théorie de juste milieu étroit et aveugle. Elle est vaste, au contraire, très compréhensive, très libérale et très généreuse. Appliquée avec toute la largeur, toute l’ouverture d’esprit, toute la hardiesse même avec laquelle elle a été conçue, elle était peut-être la vraie solution.

Mais on n’applique point comme on conçoit. On en est empêché, ou l’on y est bien gêné, au moins, par les circonstances, par les autres et par soi-même. C’est peut-être ce que nous allons voir.


IV

Guizot, comme tous ceux qui ont des idées, a voulu gouverner avec ses idées. Nous les connaissons ; nous savons ce qu’il a voulu faire. Il a voulu gouverner avec la classe moyenne ; pour la raison, dans la mesure où l’opinion la pouvait admettre ; pour la liberté, telle qu’il l’entendait, dans la mesure où la tradition n’en serait pas violemment rompue.

Pour ce qui est de la classe moyenne, quelque juste que pût être sa doctrine, il s’est trompé, avec tout son parti, sur l’application. Il a eu une erreur d’optique ; il a vu la classe moyenne où elle n’était pas, en France, en 1830. Il a cru que la classe moyenne était la grande bourgeoisie. La grande bourgeoisie, dès 1830, et même depuis le commencement du siècle, n’était pas classe moyenne, elle était aristocratie. L’erreur avait pour principe l’idée que l’aristocratie ancienne existait encore, et, dès lors, que la classe placée immédiatement au-dessous était la classe moyenne. Mais l’aristocratie ancienne n’existait plus. Elle n’existait plus depuis la révolution ; même avant la révolution elle avait peut-être déjà cessé d’être. Ce qui était haute classe, c’était la grande