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établi à 1,200 métrés au-dessus du niveau de la mer. Nous absorbons du thé, nous fumons. Cette visite des deux autorités, civile et militaire, est suivie par celles de plusieurs particuliers que nous recevons sans déplaisir, car ils sont amusans, toujours convenables. Et puis cette fréquentation initie l’étranger à bien des détails qu’il ignore ou sait imparfaitement. Si une vie suffit à acquérir la connaissance des choses de son pays, deux existences ne seraient pas de trop pour se rendre familière la nation à laquelle on n’appartient ni par la mère ni par le contact des années d’enfance. Cette étude est un champ indéfini dont les limites reculent sans cesse devant l’exploration. Et les investigations ont d’autant plus d’attrait que les observations recueillies augmentent d’intérêt par le rapprochement que l’esprit établit aussitôt avec une circonstance antérieurement vécue. Ce sont des impressions doubles.


Pour 50 sens par jour (environ 2 francs, au change de l’époque), notre hôtelier nous a cédé une grande chambre très proprement tenue, tapissée de tatami de paille fine dont la belle couleur jaune éclaire l’appartement. Deux des parois de cette pièce, qui fait angle sur la rue, sont formées par des syozi sortant de la main de l’ouvrier. Les cadres de ces légères cloisons que le bout du doigt soulève sans peine sont tracés par des lattes minces, polies, aux arêtes si droites qu’elles pourraient servir de règle à un dessinateur. Le papier à demi transparent qui les recouvre est si bien tendu qu’il résonne comme la peau d’un tambourin, invitant les doigts à battre une marche. Les syozi étant mobiles, il suffit de les faire glisser dans leur rainure et la rue entre dans la chambre.

Les tatami ne supportent pas le contact de nos meubles et de nos souliers. Les tables, les chaises et les durs talons crèveraient et déchireraient comme une étoffe les nattes délicates. Le mieux étant encore de s’adapter autant que possible au milieu ambiant, nous adoptons la courte robe et la longue écharpe japonaises, en réservant exclusivement pour les sorties l’usage des bottines. Dans ce frais costume d’été, nous recevons, assis à la manière nationale ou à peu près, les visites des personnes qui veulent bien nous honorer de leur curiosité. Ou bien, dans une posture non moins couleur locale, mais plus négligée, le corps étendu sur les tatami, la tête appuyée sur l’avant-bras, nous nous entretenons avec des hôtes relativement familiers.

C’est souvent dans cette pose délassante que nous causons le soir, les visages au centre, les pieds à la circonférence, autour de ces minuscules tasses à saké qui semblent avoir été rapportées par Gulliver d’un de ses voyages.

Et comme les relations de maître à subordonné sont empreintes