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visage d’une blancheur charmante. C’est même ici une espèce de proverbe que les épouseurs doivent se défier d’une jeune fille trop blanche, trop belle.

A peu de distance de notre hôtel s’élève le plus grand des établissemens qui hébergent la société lépreuse. Ce bâtiment, vaste et de belle apparence, n’a pas tout à fait la même physionomie que les autres hôtelleries de l’endroit. Il est plus fermé, plus silencieux. Les gens ne se montrent pas sur les vérandas, occupés à causer, à fumer, à se divertir, dans la vie de plein air qu’on aime au Japon. Quelques visages seulement, qu’on ne voit pas longtemps, apparaissent à partir du premier étage. Combien étrangement intéressante serait une visite dans cet intérieur peu banal ! Les habitans de ce logis forment une classe distincte de la foule qui va par les rues sous le soleil. Leurs mœurs sont particulières, en raison de la condition exceptionnelle où les place leur maladie ; leurs idées ne sont pas faites comme celles de tout le monde, leur conversation ne peut être la même que celle des hommes qui vivent dans un milieu normal. Plusieurs sont suffisamment cultivés pour que ces différences donnent lieu à des surprises intéressantes. La préoccupation constante qui domine toutes leurs pensées les apparente plus solidement que ne le font les similitudes de métier ou de tempérament ordinaires ; ils doivent être liés par une étroite confraternité. Puis ils ont leurs amusemens à eux. Quelles singulières agapes se donnent peut-être le soir dans cette maison ! Oui, si ce n’était un certain souci du qu’en-dira-t-on et aussi le motif plausible à donner à sa curiosité, on se laisserait aller à tenter cette exploration. — Debout sur la véranda, un des lépreux s’est suffisamment rapproché pour qu’on puisse distinguer assez nettement son visage d’une teinte violette, arrondi par une boursouflure qui tend les coins de la bouche en lui imposant un sourire involontaire. Cette figure, à qui le hasard de la difformité donne une expression d’ironique tristesse, semble porter l’inscription retournée des écriteaux et dire railleusement : « Nul, s’il n’est lépreux, n’entre ici. »

Aujourd’hui, 18 août, visite à Kusatsu du secrétaire officiellement envoyé par le gouverneur du Ken.

Cette tournée annuelle est destinée à vérifier le bon ou le mauvais entretien des rues de la localité. L’année dernière, paraît-il, le secrétaire n’a pas été satisfait. Aucune amélioration n’ayant été introduite depuis, les habitans, pour se rendre propices les sentimens de l’inspecteur, ont imaginé de surcharger leurs vérandas de drapeaux et de lanternes. C’est à croire que le Mikado va passer. Ce faste, disproportionné avec l’importance du fonctionnaire