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Un passage du voyageur allemand Gölnitz donne une impression très nette de l’aspect que présentaient ces contrées : « En allant de Bourges à Lyon, dit-il, comme la route royale était rompue par les pluies, le cheval qui portait nos bagages tomba dans les marais… Nous étions nous-mêmes en péril de la vie par une nuit très noire et un vent impétueux qui nous empêchait de nous entendre. Nous dûmes marcher à pied, tâtant le sol avec les mains, car il n’y avait pas trace de route. Notre guide allait en avant au milieu de l’eau. Nous suivions à la file, par derrière, sans voir, sans entendre. Enfin, au milieu de la nuit, après nous être plusieurs lois égarés, nous arrivâmes, trempés jusqu’aux os, les bottes pleines, à l’auberge. Nous y trouvâmes Philémon et Baucis et les secouâmes un peu pour obtenir un bon feu, sécher nos vêtemens, mettre de la paille dans nos bottes, du pain et du vin dans nos estomacs. Une fois séchés et rassasiés, nous allâmes coucher.

« Le lendemain, la pluie ayant un peu cessé, nous marchons, par un chemin empierré, jusqu’à un bourg nommé Couleuvre[1]. Triste logis, et qui paraissait toujours sur le point de prendre feu : le bois mis dans le foyer vomissait des flammes par la cheminée, qui traversait justement un grenier plein de foin. Il fallut nous mettre à jeter de l’eau sur le feu pour jouir de sa chaleur sans trop de péril. Ce remarquable logis s’appelait l’Écu de France. A peine séchés, et le repas fini, nous repartons sous la pluie et nous avançons lentement, jusqu’à la tombée du jour, pour gagner, au village de Franchesse[2], l’auberge du Cheval blanc. Tout y était ouvert, portes et fenêtres. Pas de fermeture, pas de vitres ; et il y avait, là dedans, des hommes de fort mauvaise mine, occupés à travailler le lin. L’idée de manger et de dormir sous le même toit n’était pas sans nous donner quelque inquiétude pour nos bagages. Nous veillâmes une partie de la nuit, et, grâce à ce soin, tout se passa sans accident. »

Pour aller vers le sud-ouest, on passait par Châtellerault et Poitiers. Le Poitou, moitié nord et moitié midi, conservait encore quelque chose de l’abondance de la Touraine. La terre, cependant, devenait plus maigre. Poitiers, comme Bourges, comme Orléans, était un centre d’études important. Elle s’appelait elle-même l’Athènes de la France.

La Brenne, le Bas-Poitou, croupis dans leurs marais, étaient d’affreux pays. La Marche, le Limousin, tout rugueux de collines boisées, ne valaient guère mieux. Les voyageurs parlent de ces

  1. Allier, arrondissement de Moulins.
  2. Également dans l’Allier, arrondissement de Moulins.