Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/490

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hSh REVUE DES DEUX MONDES. — Gela dépendra de ce que vous me raconterez, répondit Frantz dont le front se plissa d'une manière fort expressive. — G'est-à-dire que vous craignez que je ne manque de tact?.. Au fait, c'est peut-être en manquer que d'aborder avec vous certain sujet... Mais j'avoue que, mal habitué à la casuistique, je ne sais trop quel parti prendre. J'ai des élancemens dans la conscience, ce qui me gêne beaucoup. Permettez-moi donc, à tout risque, de me soulager... Après vous avoir mis à même de puiser vos renseigne- mens à une source quelque peu empoisonnée, j'ai eu un premier scrupule, résultant de la crainte de vous avoir à tout jamais détourné d'une jeune fille que mon manque de foi, peut-être, m'avait trop vite rendue suspecte. Ce scrupule s'est changé en un remords affreux lorsque j'ai su que vous passiez outre... pour de bonnes raisons, sans doute. Je... voisinais tant soit peu avec la personne que vous devi- nez. Le besoin de savoir au juste ce que valaient ses informations s'empara de moi et devint plus impérieux à mesure que l'éloigne- ment me rendait plus cher certain souvenir. D'ailleurs, à la réflexion, l'énormité de l'accusation avait fini par me révolter. On a beau être sceptique, voyez-vous, et même un tantinet cynique, une jeune fille n'en reste pas moins à vos yeux quelque chose de pur, de néces- sairement pur... qui peut bien, à la rigueur, contenir le germe de quelques impuretés, mais non en receler toute une floraison... Je scrutai, je sondai ma source ; et je m'aperçus que c'était elle qui était impure, étrangement fangeuse, pleine de vilains crapauds baveux et crachotans... Bref, la dame en question, pour avoir vu rôder deux ou trois fois un homme sous les fenêtres d'une jeune fille, pour l'avoir aperçu errant la nuit dans un couloir, puis arrêté devant une porte qu'il n'avait même pas osé ouvrir, a fait sem- blant de croire que cet homme était l'amant de cette jeune fille. Je dirais : ce qu'il y a de pis, c'est qu'elle me l'a fait croire, si vous ne vous étiez montré plus avisé et moins sceptique, ou plutôt moins naïf que moi... Car il y a vraiment tout autant de naïveté à toujours croire le mal qu'à toujours croire le bien... Ma punition, c'est de vous céder la place. Mon remords, aujourd'hui, ce serait de vous laisser supposer que la calomnie fera son chemin. Je sais que ma première impression était la bonne ; qu'il n'y a rien de vrai dans l'histoire racontée, à part les visées et les entreprises de M. de But- tencourt, dont il est seul responsable... Quant à M me Frugères, elle se taira maintenant, parce qu'elle est assurée que sa voix n'aurait point d'écho... Au contraire !.. Ouf! ça va mieux. La physionomie d'Edgar Lecourtois eût intéressé Frantz si l'amende honorable qu'on était venu lui ofïrir n'eût ravivé son plus cuisant chagrin. Cet air penaud et franc, cet embarras mêlé