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490 REVUE DES DEUX MONDES. son petit salon particulier, en train d’examiner différens projets de tapisseries, qu’elle avait fait échantillonner au dehors. Livrée à cette occupation paisible, elle avait, sous sa lampe, une physiono- mie presque apaisée. Les luttes récentes et les derniers orages n’y avaient laissé que peu de traces. Aussi, cette physionomie fut-elle profondément altérée dès que le nom de M. de Buttencourt eut été prononcé.

était difficile à Marie-Madeleine de ne pas recevoir le baron, 

qui faisait maintenant partie de sa famille. C’eût été, non-seulement fournir ample matière aux gloses de la domesticité, détail secon- daire, mais s’exposer à une insistance tout à fait embarrassante. Car, selon toute probabilité, si M. de Buttencourt venait, c’était pour être reçu. Et puis, sa venue pouvant être considérée comme l’an- nonce ou le présage d’un danger, mieux valait connaître sur l’heure la nature de la menace qu’il apportait. — Au surplus, cette visite n’était pas tout à fait une surprise pour la jeune fille, qui s’attendait presque à voir arriver, un jour ou l’autre, le terrifiant visiteur : quand elle avait parlé à Frantz de sa frayeur de l’avenir, elle ne lui avait dit que la moitié de ses raisons d’effroi. Le baron, qui était aussi habile parfois à dominer ses émotions qu’incapable de maîtriser ses passions, ne laissa paraître d’abord ni trouble ni colère. 11 donna des nouvelles de Rubécourt, parlant sur un ton de politesse affectueuse et banale. 11 raconta que sa grand’mère avait été malade, qu’on avait craint une attaque, qu’elle était provisoirement rétablie, mais que tout donnait à prévoir un accident prochain. Puis : — Et, à ce propos, ajouta-t-il avec un très léger changement de ton, j’ai été prié de m’enquérir des apprêts de votre mariage. — Prié par qui? demanda Marie-Madeleine. — Par Hélène, qui, tout naturellement, s’intéresse à cette union. — Ah ! oui, dit amèrement la jeune fille, elle a le droit de s’y intéresser ! — Le droit? Je ne crois pas... Car elle ne sait rien, sinon que je me suis trop occupé de vous... A ma connaissance, il n’y a qu’une personne qui ait un droit de ce genre : c’est moi... Oui, moi ! — Vous ! — Oui, moi ! répéta avec force M. de Buttencourt. — Vous qui m’avez trompée ! vous qui m’avez abandonnée ! vous qui m’avez perdue !... Vous enfin qui êtes marié ! — J’ai commis une vilenie, sous la pression d’une inexorable nécessité, soit ! Mais je n’ai jamais cessé de vous aimer... Quant à mon mariage, il n’autorise pas le vôtre. Or, comprenez-moi bien, Marie-Madeleine, si je ne puis vous ravoir, je ne veux pas qu’un