Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/497

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HALLALI ! 491 autre vous ait... surtout cet homme, que j’exècre! Cela, c’est une idée bien arrêtée. Je n’essaierai pas de vous reconquérir... Aussi bien je sens que je vous fais horreur et que vous n’avez pas tort de me mépriser... quoique je sois à plaindre... Mais, pour que je fasse le mort avec la passion folle qui me galope, avec la rage qui m’éperonne, il faut, il faut, entendez-le, que vous renonciez à ce projet, qui, après tout, est un projet honteux... Oh ! je sais que je ne suis guère qualifié pour vous parler d’honneur et de devoir. Pourtant, je vous demanderai où vous pourrez bien prendre le droit de me juger et de me honnir quand vous aurez commis, vous aussi, un acte bas et vil... — Vous croyez donc, interrompit Marie-Madeleine, que M. Real ne sait rien ? — Il en sait autant que ma femme, je pense... un peu plus, sans doute, parce qu’il est homme et qu’il me hait, parce qu’il vous aime surtout... enfin, parce qu’il a dû m’épier, ce qui lui aura permis de deviner à peu près mes visées, outre mes sentimens. Mais... — Détrompez-vous : il sait tout. Et c’est pour lui obéir, après de longs débats, que, malgré le passé, je deviendrai sa femme. — Quel homme est-ce donc ? s’écria M. de Buttencourt. — Un fou, sans doute, mais un fou généreux que je respecte et que j’aime. — Ah! prenez garde à sa vie! Prenez-y bien garde!... car il doit être brave, et les prétextes ne manqueront point ! Furieux, M. de Buttencourt avait saisi les mains de la jeune fille et les tordait dans les siennes. Sans faire aucun effort pour se dégager, elle le regarda longue- ment avec pitié et lui dit d’un ton bas, très doux : — Vous ne me ferez plus jamais autant de mal que vous m’en avez fait. Il desserra les doigts, et Marie-Madeleine ajouta : — Mais tâchez de retenir ceci : ma vie est liée désormais à celle de Frantz Real, puisqu’il lui a plu de la racheter; et vous ne sau- riez plus en disposer qu’en la condamnant avec la sienne. Alors, il tomba presque à genoux, suppliant. — Vous ne savez pas ce que c’est, murmura-t-il, que d’avoir dans le cœur cette bête rongeuse, dans l’esprit toutes ces images si nettes et si charmantes ou si terribles, selon que l’amour ou la jalousie les y a évoquées et les y imprime... Par pitié ! renoncez... — Eh! le puis-je? s’écria Marie-Madeleine au supplice. Puis, avec une explosion de douloureuse angoisse : — Grand Dieu ! que les hommes sont cruels et efïrayans dans leur manière d’aimer! Vous tous, chrétiens ou païens, êtes-vous