Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/507

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HALLALI ! 501 refuse de rentrer à Rubécourt, puisque vous persistez à y aller chercher le drame que je redoute et que je veux fuir... fuir à tout prix. — Même au prix de mon bonheur? demanda Frantz anxieux et grave. — Oui, répondit avec explosion la jeune fille, même à ce prix! Ils se trouvaient en un endroit singulièrement propice aux conci- liabules secrets ou agités : sauf quelques gamins qui venaient par- fois lancer des pierres sur les trains ou jouer aux montagnes russes le long des talus abrupts, personne ne fréquentait ces parages élevés, en contre-haut de la voie ferrée, toujours déserts, plus déserts encore que les gagnages de la plaine et la lisière des bois, cependant bien paisibles et bien mornes à toute heure. — Ainsi, dit Frantz, qui n'avait rien répliqué d'abord, vous re- mettez tout en question au moindre incident ! — Au moindre incident!.. Et c'est de la vie de deux hommes qu'il s'agit!.. Mais, soit! Je suis une inconséquente, une folle,., ce que vous voudrez. Vous avez le droit de me juger sévèrement, de me condamner, de me maudire... Vous avez tous les droits. Seule- ment, vous ne ferez jamais de moi la complice d'un homicide... Car je vous devine, hélas! Bien loin de reculer devant une solution tragique, vous iriez plutôt au devant, malgré vos dires et vos pro- messes... ou du moins vous avez l'espoir secret que l'on saura bien vous l'imposer. Votre héroïsme vous pèse, comme à lui sa lâcheté : un meurtre arrangerait tout... Ah! non, non, non! Plutôt renoncer à vous, encore une fois ! Jamais elle n'avait déployé cette énergie pour se soustraire à sa destinée. Elle en était plus belle et plus touchante. Mais Frantz ne lui en savait, pour ainsi dire, aucun gré, parce que son orgueil d'homme et d'amant souffrait et saignait par le fait de ce sacrifice si vite offert ou accepté. Qu'il l'eût mieux aimée follement éprise, criminellement résolue, lui mettant elle-même l'épée à la main et lui disant : « Vengez-nous! » — Et mon amour? le vôtre? fit-il avec amertume et décourage- ment. Hardie, pour la première fois depuis qu'il la connaissait, elle lui jeta les bras au cou, et, dans un baiser : — Je vous jure, murmura- t-elle, que je vous aime de toute mon âme... Mais faites un elïort pour me comprendre. Mon âme est telle que toute violence l'épouvante, que la force tragique de la passion la consterne et la glace... Soyez doux, soyez patient,., ce qui est bien être fort aussi... ou renoncez à moi... — Renoncer à vous, maintenant! Comment ce mot peut-il en- core vous venir aux lèvres?