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fait que chaque âme ne ressemble à aucune autre et poursuit un archétype qu’elle atteindra dans le cercle du bonheur, c’est-à-dire dans son ciel, druides et bardes l’appellent Awen. L’Awen, c’est l’étincelle divine de chaque être, c’est l’inspiration du barde, c’est le génie du prophète. Sa poursuite ardente précipite la course des grandes âmes à travers les existences, elle devient la raison d’être de la vie, la torche de Gwynfyd allumée dans l’abîme ténébreux d’Abred. Individualité et universalité, sentiment de l’humain et du divin, liberté et sympathie sont les deux traits originaux du génie celtique, le plus vibrant, le plus compréhensif, le plus humain des génies. Ils se retrouvent dans la doctrine des bardes, écho de la sagesse druidique : « Trois choses, disent-ils, sont primitivement contemporaines : l’homme, la liberté et la lumière. » Dans cette hardie triade, les ancêtres de Vercingétorix et de Taliésin ont résumé, comme dans une fanfare, le génie de toute leur race.

L’origine des druides remonte dans la nuit des temps, à l’aube crépusculaire de la race blanche émergeant de ses forêts humides. « Les hommes des chênes sacrés » furent ses premiers sages. Car l’ombre de certains arbres versait la sagesse, leur murmure l’inspiration. Les druidesses sont peut-être plus anciennes encore, s’il faut en croire Aristote, qui fait venir le culte d’Apollon à Délos de prêtresses hyperboréennes. Les druidesses fuient d’abord les libres inspirées, les pythonisses de la forêt. Les druides s’en servirent originairement comme de sujets sensibles, aptes à la clairvoyance, à la divination. Avec le temps, elles s’émancipèrent, se constituèrent en collèges féminins, et, quoique soumises hiérarchiquement à l’autorité des druides, elles agissaient de leur propre mouvement. Il est probable qu’elles favorisèrent l’institution des sacrifices humains qui fut la grande cause de décadence du druidisme. Cette aberration sanguinaire, commune à tous les barbares, fut poussée à l’excès par l’héroïsme même des Gaulois qui trouvaient un plaisir sauvage à défier la mort, à se jeter sous le couteau, par bravade. L’horrible institution trouvait un excitant plus dangereux encore dans l’idée singulière qu’on faisait joie aux ancêtres en leur dépêchant les âmes des vivans et qu’on gagnait ainsi leur protection. Les druides avaient leurs collèges au centre de la Gaule ; les druidesses régnaient seules dans les îles de l’Océan-Atlantique. Leurs règles variaient selon les collèges. A l’île de Sein, elles étaient vouées à une virginité perpétuelle. A l’embouchure de la Loire, au contraire, les prêtresses des Namnètes étaient mariées et visitaient leurs maris furtivement, à la nuit close, sur des barques légères qu’elles conduisaient elles-mêmes. Ailleurs encore, dit Pline, elles ne pouvaient révéler l’avenir qu’à l’homme qui les avait profanées. En somme,