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repousser hors de la vue de sa base d’opérations. Ce croiseur expédiera trois ou quatre fois par jour, et à tour de rôle, un aviso ou un torpilleur de haute mer au plus prochain sémaphore ou au port neutre le plus voisin pour tenir le commandant en chef au courant de tous les mouvemens de l’ennemi. Cette navette n’exigera guère plus de six de ces petits navires qui pourront même, à leur traversée de retour, marcher à une allure relativement réduite.

Que cette division légère ait à subir de sérieuses attaques, on en peut être assuré ; c’est aux croiseurs, aux découvertes, comme en 1778 à la Belle-Poule et à l’Arethusa, que reviendra l’honneur d’échanger les premiers coups de canon.

Il faut le dire, ces engagemens auront une grande portée morale. À l’enthousiasme que souleva dans la marine et dans toute la nation la victoire de M. de La Clocheterie, il est permis de juger que, si la Belle-Poule avait été capturée par l’Arethusa, la guerre maritime de 1778 à 1783 n’aurait pas couvert d’un si bel éclat les derniers jours de la monarchie.

« Si vous gagnez une bataille sur les Français, vous serez assurés d’en gagner beaucoup d’autres, disait Frédéric II à la fin de sa glorieuse carrière ; mais aussi, ajoutait-il, ne vous laissez pas vaincre dans la première rencontre ! »

Efforçons-nous donc de garder l’avantage dans ces premiers combats qui auront pour théâtre la côte ennemie.

Il faut s’entendre pourtant : ici l’avantage ne consiste pas précisément dans une victoire tactique, et notre division légère, isolée, relativement faible, ne saurait avoir la prétention de résister aux forces que l’ennemi jettera sur elle : il suffit que, cédant peu à peu, et sans se laisser entamer, elle entraîne, toujours combattant, ses adversaires au large, qu’elle les fatigue et qu’elle revienne sur leurs pas quand ils rentreront au port ; il faut aussi que son chef, distribuant ses torpilleurs de haute mer en éventail, sache diviser la poursuite et puisse répondre qu’en aucun moment la côte n’a été perdue de vue ; il faut enfin que, si l’armée ennemie quitte sa base d’opérations avant l’arrivée de notre escadre, il se jette à sa suite, quoi qu’il en puisse arriver ; qu’il s’efforce de deviner sa destination en déjouant ses contre-marches, qu’il expédie une de ses découvertes pour prévenir toutes les fois qu’il pense avoir recueilli un indice assuré, sans trop se démunir pourtant, afin de pouvoir lutter contre la division légère de la flotte ennemie… Rôle difficile, sans doute, le plus difficile que l’on puisse confier à un officier de vaisseau, comme celui de commandant d’une division de cavalerie indépendante est le plus difficile de ceux qui peuvent échoir à un officier de l’armée, car il exige à la fois une activité