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Mais on n’avait pas tardé à remédier au grave inconvénient de la ligne de file, et, à partir du moment où l’on avait pu répartir les vaisseaux en plusieurs escadres, on avait imaginé l’ordre en colonne, où l’armée se rangeait sur autant de lignes de file parallèles qu’elle comptait d escadres distinctes. — Pour le maintien de cet ordre de marche, déjà plus difficile que la simple ligne de file, deux préoccupations s’imposaient aux capitaines : ils avaient à conserver à la fois leur distance au navire qui les précédait et l’intervalle, invariablement fixé, qui les séparait de la colonne voisine. — On se résignait à cette complication en faveur de l’avantage de garder la flotte plus massée, mieux concentrée dans la main de son chef.

Duquesne et Tourville adoptèrent souvent cet ordre en colonnes pour leurs grandes flottes ; nous venons de voir que Tromp leur en avait donné l’exemple.

D’autres ordres de marche durent leur origine à des exigences purement militaires : l’ordre de front, très difficile à garder pour des navires à voiles, pouvait convenir lorsqu’une escadre nombreuse entreprenait d’intercepter un convoi que ses éclaireurs lui avaient signalé : c’est une disposition de ce genre qu’adopta le lieutenant-général Gabaret pour arrêter et pour rejeter sur les vaisseaux de Tourville une bonne partie du convoi anglais de Smyrne qui s’efforçait de s’élever au large (affaire de Lagos : 1693).

Quand une armée navale chassait une escadre inférieure en forces, la rigide ligne de file ou même l’ordre en colonnes ne pouvaient satisfaire au besoin de « mordre » sur l’ennemi, de l’arrêter en l’obligeant à répondre ou en avariant ses agrès. Il fallait, dans ce cas, rompre la formation de marche des vaisseaux et laisser prendre la tête aux meilleurs marcheurs, derrière lesquels s’échelonnaient en éventail, prêts à les soutenir, ceux qui les suivaient naturellement dans l’ordre des vitesses. Ainsi se formait, sous la pression des circonstances, un ordre nouveau, l’angle de chasse. Pour avoir voulu conserver trop longtemps ses vaisseaux en ligne de file pendant qu’il poursuivait l’escadre de Rooke, au début de cette affaire de Lagos dont nous parlions tout à l’heure, Gabaret perdit l’occasion d’infliger à cette armée navale un désastre qui nous aurait consolés de notre échec de la Hougue.

Des considérations inverses de celles que nous venons d’exposer amenaient l’escadre en retraite à adopter une formation angulaire dont le saillant, occupé par les vaisseaux les plus robustes et les mieux armés, était tourné vers l’ennemi.

En 1653, près de Portland, Martin Tromp, forcé de se retirer devant la flotte anglaise renforcée après son premier échec, couvrait avec ses vaisseaux de guerre ainsi disposés la masse du