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Dépit amoureux, les Précieuses ridicules, Sganarelle, l’École des maris. Non pas déjà qu’en y regardant bien, on ne puisse y voir poindre l’idée de Molière, et déjà, la liberté de sa plaisanterie préluder à de plus grandes hardiesses. Si le Dépit amoureux et l’Étourdi ne sont que des canevas à l’italienne, sur lesquels Molière s’est contenté de faire courir les arabesques de sa fantaisie, — plus brillante, plus gaie, plus spirituelle aussi peut-être, à cette heure où la jeunesse ne l’avait pas encore quitté, que dans la cérémonie du Bourgeois gentilhomme ou dans celle du Malade imaginaire, — déjà les Précieuses ridicules, et déjà l’École des maris sont une vive attaque, une attaque en règle à tous ceux qui prétendent, comme nous l’avons dit, masquer ou farder la nature. Même la gradation m’en paraît instructive. Au lieu de prier tout simplement M. de Mascarille de s’asseoir, lui dites-vous peut-être, avec les demoiselles Gorgibus : « Contentez donc un peu l’envie que ce fauteuil a de vous embrasser, » vous êtes parfaitement ridicule, comme n’étant pas du tout naturel : vous n’êtes pourtant que ridicule. Mais, au lieu d’outrer la nature, et de la rendre, s’il était possible, aussi ridicule que nous, prétendons-nous peut-être la forcer, la contraindre, et la discipliner ? Prenons garde, nous courons le sort du Sganarelle de l’École des maris avec son Isabelle, et nous ne sommes plus seulement ridicule, mais nous commençons d’être sot, d’être dur, d’être odieux. Première épreuve ou premier crayon d’Arnolphe, ce Sganarelle n’en diffère que pour être traité moins sérieusement, dans le goût de Scarron, si je puis ainsi dire, plutôt que dans le grand goût de Molière. Arrivons donc sans tarder davantage à Arnolphe, et parlons de l’École des femmes. C’est aussi bien la première en date des grandes comédies de Molière ; celle qui l’a mis la première au rang qu’il continue d’occuper toujours seul ; et enfin, — parce que l’intrigue en est plus divertissante, la langue plus franche, et la philosophie plus optimiste, — je sais plusieurs de ses dévots qui veulent y voir encore aujourd’hui son chef-d’œuvre.

On a fait, tout récemment, sur l’École des femmes, cette amusante proposition d’essayer d’en parler, comme si Molière l’avait intitulée : la Suite de l’École des maris ? Il est probable également que si le Misanthrope était intitulé : le Mariage fait et défait, nous n’y verrions pas ce que nous y voyons, ce que nous avons au moins le droit d’y vouloir voir, non plus que dans Tartufe, — qui devait d’abord s’appeler l’Imposteur, — si Molière l’avait intitulé, par exemple : Une Famille au temps de Louis XIV. Voilà une singulière façon de raisonner ! Pour justifier Bossuet des reproches qu’on a pu faire à son Discours sur l’Histoire universelle,