Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/671

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et par deux ou trois pièces, lesquelles sont précisément la Critique de l’École des femmes, l’Impromptu de Versailles… et le Mariage forcé. Si l’on connaît assez les premières, nous devons dire de la troisième qu’expressément composée pour le roi, et en hâte, Molière y vit sans doute un moyen de faire sa cour, de ranger de son côté le maître tout-puissant, dont ses adversaires dépendaient comme lui. C’était, en effet, un adroit courtisan que Molière ; il faut ici s’en souvenir ; et ce pauvre grand Corneille lui-même n’a pas de dédicace plus humble que celle de l’École des maris à Monsieur, frère du roi : « Il n’est rien de si grand et de si superbe que le nom que je mets à la tête de ce livre, et rien de plus bas que ce qu’il contient. »

Cette remarque préliminaire jette peut-être déjà quelque jour sur le vrai sens de Tartufe et sur les intentions de Molière. Elle fait voir au moins que, — très différent à cet égard d’Amphitryon, par exemple, — Tartufe, autant qu’une œuvre, est un acte, une œuvre de combat, comme nous dirions aujourd’hui, et un acte d’hostilité déclarée. Mais contre qui ? c’est là le point. Car on aura beau nous répéter ici que Molière a déclaré lui-même qu’il n’en avait qu’aux M faux monnayeurs en dévotion, » je répondrai d’abord qu’étant lui-même partie dans la cause, son témoignage est irrecevable ; et quand on le recevrait, j’ajouterai qu’il y aurait encore d’excellentes raisons, sinon de ne pas l’en croire, mais de faire pourtant comme si l’on ne l’en croyait pas. On me permettra de n’en donner qu’une : c’est que, sans courir le risque à peu près inévitable d’y perdre les bonnes grâces du roi, de voir disperser sa troupe et fermer son théâtre, de compromettre enfin son repos et sa liberté, Molière ne pouvait pas tenir un autre langage. Le voyez-vous, se faisant gloire d’avoir ouvertement attaqué la religion ? Mais Voltaire même, au siècle suivant, ne l’osera qu’à peine ; et, jusque de nos jours, j’en connais qui l’attaquent et qui ne veulent pas que l’on dise qu’ils l’ont attaquée. Cependant, ils n’ont pas de Bastille à redouter ! Laissons un peu les phrases : quand il a protesté de son estime et de son respect pour les vrais dévots, si Molière a dit une chose « au moment où il en pensait une autre, » et si « cela s’appelle mentir, » n’ayons pas peur du mot. Disait-il pas peut-être aussi la vérité quand, dans la préface de ses Précieuses, il prétendait n’avoir attaqué que les fausses ? ou quand encore, dans la Critique de l’École des femmes, il imputait l’équivoque de la scène du ruban à l’imagination salissante de celles qui l’y voyaient ? Ne tenons donc nul compte ici des argumens que l’on tire d’une certaine idée qu’on se fait des intentions de Molière ; souvenons-nous plutôt que ce qu’il s’agit d’éclaircir, c’est précisément la