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nature de ces intentions ; et, prenant Tartufe dans l’histoire, voyons où ils étaient, entre 1660 et 166/i, ces « hypocrites » et ces faux dévots ; de quels si grands dangers ils menaçaient la société ; et de quels noms ils se nommaient ?

Car, on raisonne toujours comme s’il n’y avait qu’un « XVIIe siècle, » identique à lui-même dans toute la durée des cent ans de son cours, et comme si Tartufe était contemporain du règne de Mme de Maintenon, au lieu de l’être de la faveur des La Vallière et des Montespan ! Mais, dans cette cour où Louis XIV, à peine émancipé de la tutelle de sa mère, promenait son caprice de sultane en sultane et laissait sa convoitise s’égarer jusque sur la femme de son frère ; où tous et toutes, autour de lui, jeunes et ardens comme lui, ne respiraient, à son exemple, que la galanterie, que l’amour, que la volupté ; où le sévère Colbert lui-même se faisait le ministre des plaisirs autant que des affaires du maître, il n’y avait pas, il ne pouvait pas y avoir « d’hypocrites » ni de « faux dévots, » par la bonne raison que la dévotion n’y menait personne à rien ; qu’il eût donc été non-seulement inutile, mais imprudent, mais dangereux de la feindre ; et qu’à moins d’y être obligé par son métier de confesseur ou de prédicateur, on eût été suspect, en n’imitant pas la conduite du prince, de la blâmer. Qu’on se rappelle, à ce propos, l’aventure de Mme de Navailles, chassée de la cour, — et son mari dépouillé de tous ses emplois, — pour avoir fait murer la porte qui mettait l’appartement de Louis XIV en communication avec la chambre des filles. Voilà tout le profit qu’un dévot, faux ou vrai, pouvait songer alors à tirer de sa dévotion ; et je laisse au lecteur à penser s’ils étaient beaucoup qui en fussent avides. C’est que l’hypocrisie n’est pas un de ces vices qui soient à eux-mêmes leur cause, ni surtout leur assouvissement, comme l’avarice, ou comme l’ambition, ou comme la débauche. Elle ne se repaît pas de ses grimaces, comme Harpagon de la vue de son or. Et elle n’a de raison et de lieu d’être qu’autant qu’elle conduit à des satisfactions solides : à la fortune, aux honneurs, à la réputation.

Mais, s’il n’y avait pas de faux dévots à la cour du jeune Louis XIV, il y en avait de vrais, que le spectacle de cette autre espèce de « libertinage » attristait ; et je ne suppose pas que nous leur disputions le droit d’en avoir été sincèrement attristés, — plus qu’attristés, scandalisés, — puisqu’après deux cents ans nous l’accordons encore, dans leurs Histoires de France, au grave Henri Martin et au lyrique Michelet. Et, ces vrais dévots ne s’appelaient point l’abbé de Pons, ou l’abbé Roquette, ou le sieur Charpy de Sainte-Croix, comme le répètent à satiété les annotateurs ou les commentateurs de