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Et nous, il faut sans doute nous féliciter que le jansénisme n’y ait pas réussi, mais il ne faut pas nier que Molière, en écrivant Tartufe, ait attaqué le jansénisme, et dans le jansénisme, nous Talions voir maintenant, la religion même.

On n’en douterait pas, si l’habitude ne s’était accréditée parmi nous de ne considérer dans Tartufe que Tartufe lui-même ; et, quand on n’y considère que Tartufe, on n’a pas de peine à démontrer qu’effectivement il est Tartufe.


Au travers de son masque on voit à plein le traître,
On le connaît d’abord pour tout ce qu’il peut être,
Et ses roulemens d’yeux et son ton radouci
N’imposent…


qu’à Mme Pernelle, une vieille folle, et qu’à son fils Orgon. Tartufe sue l’hypocrisie ; toutes les basses convoitises sont comme ramassées en lui pour en faire un monstre de laideur morale ; si comique qu’il soit, il inspire la peur, plus de dégoût peut-être encore que de peur ; pour le toucher, on voudrait des pincettes ; et, le rencontrant sur notre route, nous regarderions à l’écraser, — pour ne pas nous salir. L’intention est sans doute évidente ici. Tartufe est bien la satire ou la charge de l’hypocrisie ; les termes dont il use ne sauraient faire un instant illusion à personne ; et si l’on voulait adresser une critique à Molière, ce serait, avec La Bruyère, de l’avoir peint de couleurs trop crues. Mais que fait-on des autres personnages, et en particulier d’Orgon, qui, sans doute, a bien son importance ? Puisque ce n’était pas, pour le dire en passant, le personnage de Tartufe, mais bien celui d’Orgon, que Molière jouait dans sa pièce, comme il faisait Arnolphe dans l’École des femmes, Alceste dans le Misanthrope, et Harpagon dans l’Avare. Et, en effet, autant que sur Tartufe, c’est sur Orgon que roule toute la pièce ; c’est lui qui tient la scène depuis le premier jusqu’au dernier acte, tandis que Tartufe ne paraît qu’au troisième ; et c’est à lui, par conséquent, si l’on y veut voir clair, qu’il faut demander, comme à Tartufe, le secret de Molière.

Or, ce n’est point du tout un imbécile qu’Orgon, et Dorine, dès le premier acte, a soin de nous en avertir.


Nos troubles l’avaient mis sur le pied d’homme sage
Et pour servir son prince il montra du courage.


On vivait librement et largement dans cette maison où la venue d’une belle-mère n’avait apporté ni désordre, ni trouble. C’était un bon époux, un bon père, un bon maître qu’Orgon : c’était