Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/678

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a-t-il fait dans le Bourgeois gentilhomme ; et ainsi dans les Femmes savantes, où ce n’est pas le bonhomme Chrysale, ni le beau-frère Ariste, ni peut-être Clitandre, mais Henriette surtout qui incarne sa véritable pensée. Mais l’Elmire de Tartufe n’est qu’une aimable femme, à qui l’on peut bien dire que toute idée religieuse paraît être étrangère, qui ne trouve, pour répondre à la grossière déclaration de Tartufe, aucun des mots qu’il faudrait ;


D’autres prendraient cela d’autre façon, peut-être ;
Mais sa discrétion se veut faire paraître ;


et comme, d’ailleurs, sa vertu n’en est pas moins inattaquable, qu’est-ce à dire, sinon que, par nature, « gens libères… ont un aiguillon qui les pousse à faits vertueux et les retire de vice ? » Dans sa situation difficile de jeune femme d’un vieux mari, comme de belle-mère d’une grande fille et d’un grand garçon, pour ne donner aucune prise à la médisance, et pour demeurer foncièrement honnête, Elmire n’a eu qu’à suivre sa nature, et pas le moindre besoin de la corriger, de la vaincre, ou d’essayer seulement de la perfectionner.

Les contemporains, — qu’il en faut bien croire sur leurs impressions, — ne s’y trompèrent point ; et, cinq jours après la première de Tartufe, la Gazette de France, dans son numéro du 17 mai 1664, déclarait la pièce « absolument injurieuse à la religion, et capable de produire de très dangereux effets. » Molière, soutenu par le roi, paya d’audace et riposta, comme l’on sait, en écrivant Don Juan. Il fit mieux encore ; il profita des divisions de ses adversaires ; il eut l’art de persuader aux « jésuites » que son Tartufe était une revanche des Lettres provinciales, et aux « jansénistes » qu’il en était la continuation ou le redoublement. C’est Racine qui nous l’apprend, dans la phrase si souvent citée : « Les jansénistes disaient que les jésuites étaient joués dans cette comédie, mais les jésuites se flattaient qu’on en voulait aux jansénistes. » Et, en effet, quand Tartufe entrait en scène en prononçant le vers :


Laurent, serrez ma haire avec ma discipline,


comme encore, quand il disait, en tendant son mouchoir à Dorine :


Couvrez, couvrez ce sein que je ne saurais voir,


il semblait que ce fût un janséniste qui parlât. En revanche, n’était-ce