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avec les hommes auxquels il destinait des rôles dans la révolution qu’il méditait.

Tous les Français restés en Égypte furent profondément surpris par la nouvelle du départ du général en chef. L’armée n’en fut ni abattue ni découragée. Nous savions tous que, tant que Bonaparte serait en Égypte, aucune négociation ne serait engagée pour nous en tirer[1].

Le choix du général Kléber fut universellement approuvé ; il avait toute la confiance de l’armée.

Le 4 septembre, mon bataillon fut embarqué sur la branche orientale du Nil. Après deux jours d’une navigation agréable, nous arrivâmes au village de Milkamar, sur la rive droite du fleuve, nous y fûmes cantonnés.

Le bruit courait que le grand-vizir commandait, en personne, en Syrie, une nombreuse armée et qu’elle allait se mettre prochainement en marche pour venir nous attaquer en Égypte.

Toutes les troupes disponibles furent rassemblées au Caire. Mon bataillon s’y rendit par eau et y arriva le 5 vendémiaire an VIII (27 septembre 1799). Nous n’y restâmes que huit jours ; nous reçûmes l’ordre de partir pour Katieh. Dans cette marche, nous eûmes à traverser un torrent d’eau salée très rapide ; un chasseur du 22e régiment appartenant à un détachement qui se rendait au fort d’El-Arisch, fut entraîné par le courant et allait périr. J’eus le bonheur de le sauver.

Après six jours d’une marche pénible dans les sables du désert de l’isthme de Suez, nous arrivâmes à Katieh. Nous trouvâmes là une redoute construite en troncs de dattiers. Nous établîmes à proximité, avec des branches de palmiers, un camp de huttes de feuillage. Notre camp se trouvait sur la ligne géographique qui sépare l’Asie de l’Afrique. Pendant le séjour que nous fîmes dans ce mauvais poste, nous fûmes constamment sur le qui-vive ; on s’attendait à chaque instant à voir déboucher du désert l’armée du grand-vizir.

Le 5 novembre, en rentrant d’une reconnaissance, on nous fut un ordre de l’armée, qui nous apprenait que les Turcs, ayant débarqué à Lesbeh, près du bogaz (ou bouche) de Damiette, y avaient été exterminés. Les 2e et 3e bataillons de la 32e, qui se trouvaient à ce sanglant combat, y avaient fait des prodiges de valeur.

La victoire de Damiette arrêta la marche du grand-vizir, obligé

  1. Voilà bien la conséquence de l’expédition de Syrie ! Le désir qui dominait cette armée était celui de revoir la patrie ; et, en interdisant toute communication avec les Anglais, même pour sauver les blessés, Bonaparte avait nettement indiqué qu’il n’entendait pas céder à ce désir. Aussi ses soldats le voyaient partir sans regrets, quelques-uns avec satisfaction.