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plus vaste, plus organique et surtout plus spirituelle, où viendra se concentrer et se représenter l’humanité entière. Il y a beaucoup d’organes embryonnaires, dans la vie de chaque nation moderne, qui annoncent cette organisation future et cette lointaine fusion de toutes les âmes nationales en une seule âme. Mais, tant que ce travail ne sera point accompli, nous n’aurons pas à la disposition de la jeunesse, comme base commune d’éducation libérale chez toutes les nations, une forme d’humanisme plus large que la forme romaine, adoptée et agrandie par le christianisme. Ajoutons que l’humanisme français en est le prolongement naturel et même l’élévation à un degré d’universalité plus grand encore. Comment donc comprendre, en son esprit le plus intime, notre littérature nationale, comment surtout maintenir cet esprit, en l’élargissant toujours sans le dénaturer jamais, si on n’y fait pas revivre toujours l’esprit antique et l’esprit chrétien, combinés avec les caractères originaux de notre race ? C’est le particularisme même des littératures anglaise et allemande qui les rend impropres à l’éducation, surtout à l’éducation de néo-Latins comme nous : elles ne sont pas « universellement intelligibles. » Voyez Lessing, Schiller, Goethe, Uhland, Heine, là où ils ne s’inspirent pas du classicisme antique et montrent qu’ils ont surpassé l’humanisme ancien : leurs inspirations de génie, si grandes soient-elles, sont tellement empreintes de l’état particulier de la conscience allemande, que bien souvent, dit M. Fornelli, nous n’arrivons pas à les saisir ou à les goûter dans toute leur idéalité intime. L’avenir se chargera de décider si, dans la civilisation moderne, prévaudra à la fin « le contenu de la conscience allemande, qui n’est qu’un grand moment historique, de la vie et de la civilisation chrétienne, » ou le contenu d’une conscience qui « se sera efforcée de surpasser le christianisme même. » C’est à nous, Français, que M. Fornelli semble faire allusion par ces dernières paroles, car il est clair que, depuis la révolution, c’est le christianisme même, c’est, en général, toute religion positive que notre philosophie morale et sociale s’efforce de dépasser. M. Fornelli pense que ce qui prévaudra plus vraisemblablement, c’est une vaste synthèse, un nouvel humanisme des générations futures, auquel chaque conscience nationale apportera son propre tribut, mais dépouillé de tout particularisme. Quoi qu’il en soit, la part de la France peut et doit être grande en cette fusion finale. L’évolution de l’esprit français a eu lieu de l’universalité romaine à l’universalité chrétienne, et de celle-ci à une universalité tout humaine ; le moment n’est pas venu de briser ces cercles concentriques. En nous séparant violemment de nos origines, nous nous séparerions des principes mêmes de notre vie spirituelle. La loi de