Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/805

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en jour, la besogne s’accomplirait avec assez de rapidité et d’adresse pour que les patrons fussent désormais à l’abri des soucis du lendemain. Leur présence au quai n’étant plus indispensable, que devenaient leurs revendications ? Non-seulement on risquait de perdre le bénéfice des concessions déjà obtenues, mais pouvait-on affirmer qu’en poussant la résistance à son extrême limite, on n’abandonnait pas pour toujours à des mains étrangères le travail et avec lui le pain quotidien ? Ces considérations n’ont pas laissé d’influer sur les unionistes. La rigueur qu’on avait déployée jusque-là a paru fléchir. Déjà, des ouvriers reviennent au travail : çà et là, on signale des défections, et si le gros de l’armée tient encore, on sent que la capitulation n’est pas loin. De son côté, la chambre de commerce s’entremettait avec zèle ; elle ne négligeait aucun effort pour amener à une entente les parties intéressées ; elle servait d’intermédiaire entre l’association patronale et l’union, cette dernière représentée par son secrétaire général et un député socialiste, M. Cunningham Graham, dont, au cours de la crise, les paroles violentes étaient désavouées par les grévistes eux-mêmes. On touchait à une solution ; les ouvriers renonçaient à exiger le renvoi de leurs remplaçans ; ils acceptaient de travailler avec eux, à la condition, d’ailleurs assez puérile, que la tâche serait distribuée de telle façon que les anciens fussent, aussi peu que possible, en contact avec les nouveaux. L’Union renouvelait en même temps les propositions qu’elle avait formulées au début de la grève. Le travail de nuit, ramené de dix heures à neuf heures, cesserait à quatre heures du matin. Toute besogne extraordinaire, toute irrégularité apportée dans l’intérêt des patrons, aux heures de repas des hommes, donneraient lieu à un supplément de salaire à débattre ultérieurement.

Ces deux dernières conditions ne pouvant soulever de difficultés et la question des travailleurs auxiliaires paraissant ainsi résolue, on ne doutait pas que le commerce n’acceptât immédiatement les offres qui lui étaient faites. A la surprise générale, l’association patronale a accueilli tout d’abord assez froidement ces ouvertures. Dans une note fort sèche, elle a fait savoir que l’arrangement en question serait examiné ; qu’en attendant, elle croyait devoir protester contre les appréciations injurieuses dont ses membres étaient journellement l’objet dans les réunions publiques. Un moment on a pu craindre qu’il entrât dans la pensée des chefs de maison de pousser à la dissolution de l’Union. Qu’en serait-il résulté ? Une prolongation indéfinie de la grève qui n’eût pas manqué d’aggraver la détresse de tant de familles ouvrières, une perte incalculable pour tous, un abîme de rancunes et de haines qu’on ne fût jamais