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laissé, dans sa jeunesse, l’émotion profonde ressentie par le grand philosophe, chaque fois qu’il songeait au servage. Shön, d’une tournure d’esprit philosophique, enclin à la généralisation et aux théories, rattachait ses idées politiques à la conception des droits inaliénables de l’homme et tenait par là aux doctrines de la Révolution française plus qu’aux conceptions politiques de l’Allemagne. « Personne, dit-il plus tard en parlant de cette époque, personne n’avait alors en Allemagne l’idée des droits inaliénables de l’homme. »

Nous touchons ici à l’un des traits où les Prussiens ont souvent voulu voir la distinction la plus nette entre leurs théories politiques et les nôtres. La déclaration des droits indique pour eux, au seuil de la révolution française, la préoccupation dominante d’un individualisme qui songe aux droits du citoyen plus qu’aux devoirs et aux sacrifices que lui impose la conservation de l’État. L’évolution de l’état prussien représente, au contraire, à leurs yeux, la lente formation de l’idée d’état, dans ce milieu anarchique de l’ancienne constitution germanique. C’est pour avoir trouvé en elle-même la force de créer un organisme capable de remplir les fonctions que la société moderne impose à l’état que la Prusse n’a pas tardé à acquérir en Allemagne une situation dominante et une puissance d’absorption irrésistible.

Des théoriciens politiques de l’Allemagne opposent donc la notion de l’état lentement mûrie sur le sol prussien, « l’impératif catégorique du vieux sentiment du devoir prussien, » non-seulement aux tendances individualistes et cosmopolites de l’Allemagne du XVIIIe siècle, mais aussi aux tendances théoriques du contrat social, de la déclaration des droits de l’homme et de la révolution française.

Shön, au contraire, tenait sans contredit aux théories politiques du XVIIIe siècle, du contrat social. Mais il y ajoutait les tendances bien marquées de l’idéalisme allemand. Son caractère paraît n’avoir pas été exempt d’âpreté et de quelque étroitesse. C’est sur ce qu’il appelle leur « capacité à concevoir les idées » qu’il juge la plupart du temps ses contemporains, et ses jugemens sont généralement sévères.

Ceux qu’il porte sur Stein, et qu’il faut accepter avec quelque réserve, donnent cependant une idée assez exacte de l’un et de l’autre caractère. « Son esprit brillant, dit-il, lançait des éclairs, mais la culture générale, solide et scientifique, lui faisait défaut ; Stein, écrit-il ailleurs, me traitait d’idéaliste ; s’il ne disait point métaphysicien, c’était par bienveillance pour moi et afin de ne pas employer de gros mots. Mais mon esprit à système lui était si désagréable qu’il s’en plaignit plus d’une fois à Hardenberg. » Il fait allusion