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nouvelle. Chacun y eut son rôle, sans qu’il soit possible d’attribuer une action exclusive ni à Hardenberg, ni à Stein, ni à Shön, ni à la commission immédiate.

Celle-ci ne fit que mettre en œuvre les idées directrices que Hardenberg développait en même temps à Riga dans le mémoire qu’on a appelé, on ne sait trop pourquoi, son testament politique. L’accord entre le premier ministre et les collaborateurs qu’il laissait derrière lui s’était certainement établi au cours même de la crise. On trouve sur plus d’un point une singulière concordance entre les idées de Stein, éloigné depuis le mois de janvier du théâtre des événemens, — celles de la commission immédiate qui siégeait à Memel au centre même du gouvernement, mêlée au mouvement journalier des affaires, — celles de Hardenberg, de Niebuhr et d’Altenstein, qui s’étaient retirés à Riga avant même la signature du traité de Tilsit.

En réalité, les idées générales qui présidèrent à la transformation de l’État prussien étaient fort répandues depuis la révolution, surtout depuis les dix premières années du règne de Frédéric-Guillaume III. Les désastres de la Prusse ne les avaient point fait naître. Ils leur donnèrent seulement plus de force et de précision. Ils leur assurèrent la prépondérance.


II

L’on ne saurait comprendre ce que lurent les premières tentatives de réforme sociale sans se représenter le régime de la propriété et la constitution sociale de la Prusse à la fin du XVIIIe siècle.

L’Allemagne était encore beaucoup plus voisine que la France de la propriété collective. Sans parler des étendues considérables, atteignant sur certains points jusqu’au tiers du territoire, qui formaient les pâturages communs ou les terres communes, là même où le sol avait été réparti entre les membres de la communauté rurale, cette répartition avait été presque plus théorique que réelle.

Les petites parcelles, occupées et cultivées par les paysans, par les tenanciers ruraux, enchevêtrées les unes dans les autres, sans accès indépendant, n’étaient point, au sens où nous l’entendons, la propriété de l’occupant. Elles faisaient partie du bien noble.

Le seigneur, outre qu’il avait la pleine propriété d’un certain nombre de morceaux de terre qu’il cultivait lui-même ou qu’il affermait, avait presque partout un droit de copropriété sur les terres des petits tenanciers. Les attributs les plus saillans, les plus répandus de cette copropriété étaient le droit de reprendre la tenure à la mort de l’occupant, le droit de transporter le tenancier d’une tenure sur une autre, et le droit d’employer, dans une proportion