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Quant à la suppression du servage, de la sujétion héréditaire, elle donnait bien au paysan le droit qui lui avait manqué jusqu’alors d’échapper par l’émigration à l’oppression qui pesait sur lui. C’était un progrès considérable ; mais outre qu’il ne pouvait du jour au lendemain, dans cette société classée, hiérarchisée jusqu’à l’excès, trouver facilement à s’établir en dehors du coin de terre où il était né, sa situation, s’il restait, n’était point essentiellement modifiée. Il demeurait, en fait, l’esclave du bien noble, accablé par les charges et les services dont il était grevé, n’ayant, pas plus que par le passé, de droit héréditaire sur sa tenure.

Il n’est pas sans intérêt de rapprocher les premières idées de réforme en Prusse des premières mesures prises par la Révolution française dans la nuit du 4 août. La hiérarchie féodale, qui était restée en Prusse un édifice presque intact, n’était plus qu’une ruine en France. Si les populations rurales de la France étaient encore écrasées de charges et misérables, elles avaient fait vers la propriété des progrès décisifs. Le régime de la propriété en Prusse, tel qu’il s’était conservé, tel que nous l’avons décrit, ne permet point de comparaison entre l’état d’oppression des populations rurales dans les deux pays.

L’assemblée constituante avait eu bien moins à faire que les réformateurs prussiens de 1807. Elle avait fait beaucoup plus. Elle ne s’était point bornée à faire disparaître la servitude personnelle ; elle avait, dans la nuit du 4 août, aboli sans indemnité tous ceux des droits féodaux qui tenaient à la servitude personnelle. Encore ce premier effort fut-il bien vite dépassé. Les assemblées qui succédèrent à la Constituante reconnurent bientôt l’impossibilité de maintenir les distinctions subtiles auxquelles elle s’était arrêtée.

Le projet de Shön allait beaucoup moins loin, même que les décrets du 4 août. Il faisait seulement disparaître la servitude personnelle, la sujétion héréditaire, et avec elle le service obligatoire des fils de serfs dans la domesticité du seigneur. Il donnait au paysan le droit platonique de fuir une existence trop misérable ; mais il laissait intactes la constitution du bien noble, les charges de tout genre, l’oppression dont vivait la noblesse.

Si la portée de ces mesures était limitée, l’idée n’en était pas non plus nouvelle. Les rois de Prusse avaient plus d’une fois, dans le cours du XVIIIe siècle, tenté de supprimer la sujétion héréditaire. Ils y avaient à peu près complètement réussi sur les domaines royaux, et, depuis 1796, depuis l’avènement de Frédéric-Guillaume III, l’abolition du servage, même sur les biens nobles, avait été étudiée sous toutes ses faces. Le projet était dans tous les esprits et la solution semblait mûre. En même temps que Shön rédigeait son mémoire à Memel, Schrötter faisait de Königsberg