Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/877

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’impatience avec laquelle ils attendaient Stein, ont fait de lui l’auteur principal de l’édit du 9 octobre 1807. « Notre don Juan arrivera-t-il ? » écrit Altenstein en faisant allusion à cette impatience. Dans l’entourage du roi, de Hardenberg et de Shön, l’anxiété était extrême. Beyme, le confident de Frédéric-Guillaume, pour qui le retour de Stein devait être le signal du départ et qui ne pouvait l’ignorer, déclarait avec véhémence qu’il plaçait tout son espoir en lui, et que le roi devait lui tout abandonner. « Notre misère est extrême, écrit Altenstein à Shön. Dans la boue où nous nous débattons, nous ne pouvons trouver de point d’appui. Il faut y jeter un pilier solide. Ce pilier, ce sera Stein, et s’il ne vient point, ce sera vous. » Niebuhr, de son côté, écrit à la même date, en faisant allusion à la commission immédiate : « Au lieu d’un concert à tant de voix, j’eusse certainement préféré, avec mon peu de goût pour la musique, un seul orgue puissant et la congrégation entière prenant le ton et conduite par ses accords. J’ai écrit à Stein pour mettre mon sort entre ses mains ; oui, mais seulement entre les siennes, et encore… Il faut voir si Stein (tu es Petrus et supra hanc petram œdificabo ecclesiam meam) acceptera la mission qu’on veut lui confier. »

Dès lors se multiplient les jeux de mots sur le nom du premier ministre. Ce ne sont point seulement des souvenirs classiques, comme ceux de Niebuhr. C’est une légende qui se forme. Il devient le roc sur lequel on veut fonder la constitution future de la Prusse : Des Guten Grundstein, des Bösen Eckstein, des Deutschen Edelstein. Sans une impression aussi répandue, sans un mouvement d’opinion aussi sensible, Frédéric-Guillaume III ne se fût sans doute pas résigné à une humiliation qui dut lui être amère. Stein apparut véritablement alors, aux yeux de ses contemporains, comme un homme nécessaire et pour ainsi dire providentiel.


V

Si, au lieu de rechercher où a été le caractère le plus ferme, la volonté la plus inébranlable, on veut savoir où ont été les vues les plus larges, les conceptions les plus étendues, les mérites de Stein s’atténuent sensiblement ; mais ce ne sont point ceux de Shön qui les effacent. Shön était un économiste très attaché aux doctrines du XVIIIe siècle, assez pénétré des idées de justice sociale pour être un adversaire passionné du servage et de la sujétion héréditaire. Il n’était point exempt d’une certaine étroitesse. Ce fut sans contredit Hardenberg qui eut, à cette époque, la conception la plus nette de la révolution politique et sociale qui devait