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n’est pas propriétaire, il n’est que le dépositaire de sa fortune ; il ne peut en disposer à son gré, déshériter le fils indigne, favoriser au-delà d’une mesure très restreinte le plus méritant. Cette part assurée de l’héritage paternel énerve singulièrement, chez les enfans, l’esprit d’entreprise et d’initiative. L’opposition, à ce point de vue, est extrême entre la France et l’Angleterre, où les filles sont à peine dotées, où les cadets de famille n’ont d’autre patrimoine qu’une bonne éducation et une instruction supérieure, et vont chercher fortune au loin.

M. Hillebrand note encore la tendresse extrême, aveugle, des parens français pour leurs enfans. L’enfant devient le personnage principal de la maison, le seul intérêt, le seul souci. L’éducation de la famille le laisse la plupart du temps livré à toutes ses fantaisies, à tous ses caprices ; le collège et l’internat sont destinés à y remédier. Les études terminées, les parens ne se séparent pas de lui volontiers. Les filles ne se marieront pas au loin. Les fils, autant que possible, continueront dans la ville natale les affaires de leur père, ne chercheront pas à émigrer, à se rendre indépendans. La famille germanique, anglaise, américaine, se dissout naturellement par l’émancipation des enfans et la fondation de nouveaux foyers, les liens qui relient les divers membres sont assez faibles et faciles à relâcher : la famille française, au contraire, œuvre de l’intelligence ordonnatrice, organisatrice et sociale, forme une association plus étroite et plus durable. Rien n’est touchant comme l’amour des fils pour leur mère, l’union des frères et des sœurs, des cousins et des cousines, l’assistance et les secours qu’on se prête, les sacrifices à l’honneur du nom, la mémoire, le culte des morts.


III

Les Français ont l’instinct de la sociabilité développé au plus haut degré, tous nos auteurs sont d’accord sur ce point. Mais il faut distinguer Paris et la province, avec sa vie paisible, un peu somnolente et retirée. La société y est en outre très divisée par les opinions politiques et religieuses ; une importance bien plus grande est attachée à la situation extérieure qu’à la culture d’esprit ; les sexes vivent très séparés. Les dames de province, surtout excellentes ménagères, évoquent aux yeux de M. Hamerton le gracieux tableau de Murillo, où l’on voit des anges occupés à la cuisine. Elles ont le goût de la propreté et de l’ordre. « Aucune jeune bourgeoise, dit M. Hillebrand, ne porterait la soie mince, le linge douteux, la chaussure éculée d’une baronne allemande. » Mais ce n’est plus l’élégance parisienne : « Il faut connaître la