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salaire est très faible, et qui, pour cette raison, se recrutent de plus en plus difficilement. On évalue à 8,000 ou 10,000 ouvrières le personnel de nos filatures dont les plus importantes sont situées dans l’Ardèche, la Drôme, le Gard et Vaucluse. Leur salaire moyen est de 1 fr. à 1 fr. 25. La production totale de la soie filée en France ne dépasse pas à l’heure actuelle 800,000 kilogrammes. Elle était, il y a quarante ans, de 2 millions de kilogrammes, et occupait près de 40,000 personnes.

La décadence de la filature a suivi, en somme, celle de la sériciculture, l’une ne se relèvera pas sans l’autre. Les filateurs français accusent l’invasion des soies asiatiques et italiennes, ils reprochent aux marchands de soie lyonnais d’avoir créé des filatures concurrentes en Italie, en Asie-Mineure, au Bengale et au Japon. Le fait est exact, il s’agit de savoir s’il est l’œuvre de spéculations plus ou moins louables ou reflet d’une fatalité économique, comme il s’en produit chaque jour dans toutes les industries.

M. Millaud, examinant ces faits devant le Sénat, répondait fort justement que les Lyonnais, ne trouvant plus autour d’eux, il y a une quinzaine d’années, la matière première nécessaire, ont bien été obligés de la chercher là où elle était. Il ajoutait que si les Français n’avaient pas agi ainsi, les Italiens, les Anglais et les Autrichiens auraient pris la place. Dans tous les cas, si le fait est fâcheux, il n’est pas isolé. La filature peut adresser les mêmes reproches aux sériciculteurs du Var, des Basses-Alpes et des Pyrénées-Orientales qui vendent leurs graines de cocons en Italie et en Syrie, et favorisent ainsi des concurrences redoutables pour nos producteurs de matières premières.

La filature de la soie est d’ailleurs une industrie en transformation. Elle est à la recherche d’un outillage perfectionné qui ne tardera probablement pas à être trouvé. Des essais très sérieux ont déjà été faits par un ingénieur américain, M. Serrell, qui transformeront l’art de filer et modifieront complètement ses conditions économiques. D’autre part, la filature italienne, qui est à l’affût de tous les perfectionnemens, paraît avoir trouvé un procédé de débavage qui permettrait de supprimer le battage à l’eau chaude. Le jour où ces inventions seront entrées dans la pratique et généralisées, la main-d’œuvre sera réduite, le travail plus sain, et la rapidité de la production augmentée d’une manière considérable. Déjà l’ouvrière fileuse qui jadis tirait de la bassine où le cocon se déroule, 120 à 150 grammes de soie, en tire aujourd’hui de 400 à 450. Le jour où le filage automatique fonctionnera, on peut prévoir que le rendement sera triple et quadruple. Il faudra toujours des ouvrières, il les faudra même peut-être plus habiles, mais il en faudra moins, et ce sera un avantage pour la filature française, qui