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aime davantage l’écuyère en tricot rose ou la princesse parfumée de fleur d’oranger.

Sanartia, le voleur de chevaux, s’est épris de Khetevan, un jour qu’il l’a vue se baigner. Quelques heures plus tard, la retrouvant au bord du ruisseau, il la prend par la taille. Elle résiste, puis lui tend ses lèvres. Il faisait très chaud ce jour-là. « O soleil, méchant soleil, c’est toi qui dérobes aux fleurs humides de rosée les vapeurs qui troublent les sens, qui font bouillonner le sang et la tête ! Soleil perfide, Khetevan s’est donnée. » Son père Data, devenu veuf, s’était remarié avec une fille de seize ans ; la belle-fille considérait sa belle-mère comme une enfant, mais cette enfant s’appelait Macrine et elle avait des yeux de chat. Le lendemain du jour où Sanartia a possédé Khetevan, il fait la cour à Macrine. Khetevan revenait d’une fête où elle avait dansé avec ce don Juan caucasien. « Elle avait pris une traverse ; au milieu d’un fourré, elle demeura tout à coup comme clouée au sol et retint son souffle : elle venait d’entendre le murmure indistinct d’une voix, dont l’accent lui parut pressant. Deux minutes après, l’air retentit d’un claquement de fouet, puis Sanartia passa devant elle comme un éclair, emportant en croupe une femme. » Il emportait Macrine dans un désert de l’Abchasie.

Chardin a rendu justice à la beauté des Mingréliennes. Il s’étonne qu’aucun autre Grec que Jason ne se soit avisé de venir chercher une femme dans cette partie du monde. « On y accourt à présent de tous les endroits de l’Orient, ajoute-t-il, et le prix qu’on en donne les peut faire passer pour de vraies toisons d’or. « Il en avait vu de merveilleusement bien faites, d’air majestueux, de visage et de taille admirables, dont le regard engageant caressait les hommes « et semblait leur demander de l’amour. » Il se plaignait seulement qu’elles fussent malpropres et ne lavassent leurs chemises que trois fois l’an. « J’approchais toujours d’elles fort épris de leur beauté ; mais la méchante odeur étouffait l’amour. » Au surplus, il les déclarait les plus méchantes femelles de la terre, fières, superbes, fourbes, cruelles, impudiques, « mettant toute perfidie en œuvre pour se faire des amans, pour les conserver et pour les perdre, » avec cela si lâches, si paresseuses que, lorsqu’elles n’avaient pas quelque noirceur à commettre, leur plus grand plaisir était de rester assises le jour entier, la tête penchée sur leurs genoux.

Encore une fois Chardin exagère, ou il faut croire que les Mingréliennes se sont amendées. M. de Suttner nous a appris que Khetevan se baignait dans les ruisseaux, et il nous la donne pour la plus dégourdie des ménagères. Il la montre sans cesse active, ayant l’œil et la main à tout. Sérieuse dans tous ses sentimens, le cœur chaud, l’âme énergique, l’humeur orageuse, l’œil farouche, cette Colchienne est de