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précèdent, l’étude simultanée du français et du latin est le moyen d’éducation intellectuelle et esthétique le plus approprié à l’esprit de la jeunesse française. Enfin, nous avons vu qu’il y a des raisons internationales : quand l’Allemagne et l’Angleterre gardent avec un soin jaloux non-seulement le latin, mais même le grec, ce serait une imprudence, au point de vue patriotique, que de lancer notre instruction secondaire en une telle aventure, de lui enlever son pivot historique, son unité traditionnelle et en même temps son lien de parenté avec l’enseignement des autres pays. Pour contrebalancer d’aussi graves raisons, il faudrait que l’étude des langues vivantes offrît les plus rares avantages. Voyons donc quelle est sa vraie valeur éducative.

Nous poserons d’abord en principe qu’il y a deux manières d’apprendre une langue : l’une littéraire, l’autre utilitaire. Dans le premier cas, on ne se propose point de parler la langue, ni, par conséquent, d’en connaître et d’en retenir les mots usuels ; on la traite comme on traite la langue des poètes, que la foule entend et ne parle pas. En d’autres termes, on l’étudié comme objet d’art. Ce qui importe alors, ce n’est plus le sens usuel des mots, ni les choses réelles et parfois vulgaires qu’ils expriment ; c’est « la valeur littéraire des termes et de leurs associations, » par conséquent les idées et les sentimens humains qu’ils expriment. Dans l’art et la littérature, l’expression est tout, le mot par lui-même n’est rien. L’étude littéraire d’une langue n’est pas un simple instrument de savoir, mais un instrument d’art, de conception, de style, conséquemment d’éducation intellectuelle et esthétique. Dans l’enseignement classique français, dit-on, on enseignera littérairement les langues vivantes ; mais, d’abord, qui les enseignera ? Des étrangers peu au courant de la langue française et de toutes ses finesses, ou des Français peu au courant des langues étrangères. En outre, l’enseignement des langues vivantes a une inévitable tendance à l’utilitarisme : l’anglais et l’allemand ont un caractère trop contemporain, trop commercial et industriel pour devenir facilement des objets d’esthétique et de pure littérature. La tentation utilitaire sera continuelle et universelle. Le fait est qu’on apprend les langues vivantes pour les parler, dans une vue pratique. Cette tâche difficile absorbe tout le reste, et, malgré cela, après sept ou huit années de langues vivantes, que savent nos lycéens ? Un professeur qui est chargé d’apprendre l’allemand ou l’anglais à tant d’élèves réunis, et dans tout un lycée, ne peut faire parler l’anglais ou l’allemand à cette foule, ni même faire lire couramment ces langues. Aussi nos élèves ne savent pas plus d’anglais ou d’allemand que de grec et de latin. Tout ce qu’on peut faire et qu’on doit faire, c’est de leur fournir les principes grammaticaux et les