disparu. Le jour où les classes lettrées renonceraient aux études latines, il en serait bientôt de même pour notre gloire littéraire.
On dit : — Nous donnerons au grand nombre un fort enseignement français. — Vous n’y parviendrez pas plus qu’à donner au grand nombre un fort enseignement grec et latin. Si vous vous occupez du grand nombre, vous serez obligés d’abaisser le niveau de l’enseignement anglo-germain-français tout comme celui de l’enseignement gréco-latin français. Si, au contraire, vous ne vous préoccupez pas du grand nombre, — et vous aurez raison, — vous verrez reparaître les couches habituelles de l’enseignement ; vous aurez en français, comme vous en aviez en latin et en grec, des paresseux, des élèves médiocres, des « fruits secs. » Ils n’auront pas appris le latin, mais ils n’en sauront pas mieux leur langue, en supposant qu’ils la sachent aussi bien, — et cette supposition contredit une expérience séculaire. En vain voudrez-vous élever le niveau de l’enseignement classique français, de l’enseignement spécial, pour l’appeler par son vrai nom, vous n’y parviendrez pas. Vous serez sans cesse retenu et par la nature des élèves et par la nature des maîtres eux-mêmes. Vous aurez une sorte de masse, de plèbe intellectuelle qui vous obligera à vous rapprocher d’elle, à vous préoccuper de ses intérêts immédiats, — tout comme il arrive pour les gouvernemens trop exclusivement démocratiques et populaires, pour les chambres à suffrage trop direct et trop universel. Il y a tout un peuple qui vous tire par en bas, alors que vous voudriez voir les choses de plus haut et de plus loin. Vous êtes à l’état de ballon captif. Enseignement français, cela voudra dire, — quoi que vous fassiez, — enseignement pratique, utilitaire, scientifique, spécial, professionnel. Le prospectus de l’Association pour la réforme de renseignement nous en a fourni tout à l’heure une preuve nouvelle, puisqu’on n’y parle que d’industrie et de commerce. Dès que vous voudrez cultiver le beau pour le beau, maîtres et élèves pousseront le même cri : « A quoi bon ? Ce n’est pas assez moderne, ni assez scientifique, ni assez pratique. » Le loup scientifique fondra sur votre bergerie littéraire, et il aura bientôt dévoré tous ces moutons inoffensifs. On n’aura pas de peine à démontrer par a + b que Corneille et Racine sont « des perruques » encore plus qu’Horace et Virgile. Vos maîtres eux-mêmes, vous serez obligés de les avoir plus ou moins conformes à l’esprit général des amateurs exclusifs du français, des langues vivantes et des sciences ; vous réussirez bien rarement à en faire des lettrés, des philosophes, des savans désintéressés. Une fois que vous aurez écrit sur la porte du lycée : « Ici ne s’enseigne que ce qui est utile à la société moderne, »