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vous n’aurez plus guère que des professeurs à l’esprit utilitaire, comme les élèves et les parens. Et quel pur métal résisterait à la pierre de touche utilitaire ? A quoi sert le latin ? A rien, comme la Vénus de Milo. Mais à quoi sert l’histoire, et ai-je besoin de savoir, par exemple, que Louis IV d’outre-mer, fils de Charles le Simple, régna de 936 à 954 et batailla toute sa vie sans profit ? A quoi sert tant de géographie, et ai-je besoin, comme dit Tolstoï, de connaître le canal Mariine et sa navigation ? « Le batelier saura bien me conduire. » A quoi bon la géologie, si je ne dois jamais m’occuper d’industries extractives ? — Que des écoliers paresseux ou même des « pères de famille » fassent ces beaux raisonnemens, cela n’a rien que de naturel ; mais l’État doit-il les faire pour eux ? Il aura voulu démocratiser l’enseignement, sous le nom d’enseignement français, et le résultat sera l’abaissement des études françaises elles-mêmes. Le nouvel enseignement, prétendu classique, ne sera jamais que le « bâtard du lycée et de l’école primaire. » Quant à « l’élite » d’élèves pour les études gréco-latines, on la verra se réduire aux rari nantes in gurgite vasto (profitons de ce qu’il est encore possible, en France, de citer cinq mots de Virgile). L’intérêt véritable des démocraties n’est pas de tout démocratiser, de tout ramener sur terre, et sur terre plébéienne.

On répète sans cesse : la preuve que les humanités modernes répondent à un besoin légitime, c’est le nombre d’élèves qu’a fini par recueillir l’enseignement spécial et qui augmentera avec l’enseignement français. — Mais on peut répondre : la preuve que la musique d’Offenbach et celle de Pierre Lecocq répondaient à un besoin légitime, c’est le nombre de spectateurs qui sont allés voir la Belle Hélène et la Fille de madame Angot (sans compter les courses de taureaux). Rabaissez l’art, rabaissez les études, et vous donnerez toujours satisfaction à certains besoins ; reste à savoir si ce sont les plus nobles.

Au reste, l’enseignement spécial n’a réussi que là où son succès était légitime, c’est-à-dire dans les trois premières années du cours ; à partir de la quatrième année, les élèves désertent. Sa vraie destination est en effet de fournir un enseignement de moyenne valeur à ceux que réclame, au bout de quelques années, la pratique des professions industrielles. M. Duruy l’avait compris.

On met aussi en avant les « vœux des pères de famille. » Mais un état comme le nôtre, qui a en dépôt l’honneur de la France, ne peut leur abandonner la direction effective et pratique de l’enseignement. Les pères de famille ! Ont-ils pour la plupart quelque compétence ? Quand il s’agit d’instruire et d’élever leurs enfans, ne sont-ils pas trop souvent eux-mêmes de grands enfans ? Est-ce,