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écoles ont commencé, avec Francke, Semler et Hecker, par être des écoles professionnelles ; peu à peu on y a introduit assez de connaissances générales et de latin pour les faire rivaliser à la fin avec les gymnases. Elles ont cessé alors d’être professionnelles pour devenir des gymnases mitigés, accordant plus de place aux études scientifiques, moins de place aux études littéraires, et, pour cette raison, considérées comme préparant plus spécialement, quoique d’une manière encore toute générale, aux professions industrielles, commerciales et agricoles. Mais les Allemands ont eu soin de maintenir la hiérarchie, bien que dans une mesure selon nous insuffisante. En outre, si leurs écoles réelles de 2e classe répondent à notre enseignement spécial, celles de lie classe ou « gymnases réels » répondent à notre ancienne « section des sciences, » avec cette différence que les collèges scientifiques, en Allemagne, sont entièrement séparés des collèges littéraires. Dans les gymnases réels, — surtout en Prusse, — on fait beaucoup plus de latin et aussi d’études littéraires que n’en faisaient nos élèves des sciences. Avant peu d’années, le latin, auquel on revient de toutes parts, sera exigé partout.

En Allemagne, l’enseignement secondaire s’adresse à une fraction de la société qui n’a ni les mêmes droits, ni les mêmes devoirs sociaux que la fraction correspondante de la société française[1]. La bourgeoisie allemande n’est pas, comme la nôtre, l’unique classe dirigeante d’une démocratie toute livrée au suffrage universel. Le régime féodal a laissé en Allemagne de nombreux vestiges ; l’aristocratie y conserve une véritable importance politique ; l’enseignement supérieur y a une vitalité particulière et une mission directrice ; la bourgeoisie allemande, en un mot, n’est appelée ni par la lettre, ni surtout par l’esprit des institutions à exercer une influence prépondérante sur la direction du gouvernement. Il en résulte que l’Allemagne pourrait, sans grand inconvénient, rétrécir le champ des études libérales et les réserver à une élite destinée à la fréquentation des universités. Malgré cela, tout en créant des « écoles réelles » en vue de l’agriculture, du commerce et de l’industrie, l’Allemagne s’est efforcée de répandre le plus possible l’instruction classique, qu’elle a maintenue dans ses gymnases en son intégrité. Chez nous, la bourgeoisie est l’aristocratie politique de notre démocratie ; elle seule, par une influence toute morale et sociale, peut faire contrepoids à la masse populaire, armée des mêmes droits politiques qu’elle, mais

  1. Voir, sur ce point, le livre de M. Ferneuil : la Réforme de l’instruction en France, livre dont nous repoussons d’ailleurs les conclusions.