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un peu obscure, la transmission imperturbable de certaines idées à travers l’imprévu et les obstacles, constituent le vrai fond de l’histoire et son unité. Les talens extraordinaires apparaissent comme des phénomènes sublimes. Ils triomphent un jour. Mais il y a quelque chose de plus fort qu’eux, c’est le génie de leur propre race, qu’ils violentent quelquefois, et qui leur survit.


II

Au commencement de 1816, M. Alaux arrivait à Rome. Le directeur de l’Académie était alors Guillon Lethière, l’auteur du Supplice des fils de Brutus, tableau remarquable auquel nous trouvons beaucoup de caractère, mais que, peut-être, les contemporains n’ont pas apprécié suivant ses mérites. Lethière touchait à la fin de son exercice et allait être remplacé l’année suivante par Thévenin, qui devait être plus tard le chevalier Thévenin. Celui-ci, lauréat du prix de Rome en 1791, n’avait pu profiter de sa pension. Mais en 1798, lorsque Berthier eut proclamé la république à Rome, il s’était empressé de se rendre en Italie. Il avait suivi Championnet à Naples, et là, il avait été chargé de surveiller les fouilles de Portici. Mais ces fonctions avaient été de peu de durée, la république parthénopéenne n’ayant pas duré quatre mois. En 1800, il était en France et exposait au Salon de cette année la Prise de Gaëte par le général Rey. Quelques tableaux qu’il avait peints ensuite avaient réussi ; entre autres le Passage du Mont-Saint-Bernard, qui fut admis au concours des prix décennaux et fut très honorablement cité dans le rapport du jury immédiatement après la Peste de Jaffa. Thévenin, quand il fut nommé directeur de l’Académie de France, n’était pas membre de l’Institut ; mais il remplissait la condition essentielle prévue par le décret du Directoire : il avait séjourné en Italie. En réalité, il avait été envoyé à Rome au défaut de Guérin, qui, ayant été désigné, avait dû se démettre à cause de sa santé. Thévenin était un homme d’un caractère bienveillant et d’un jugement sage. Comme artiste, il avait plus de talent que ne lui en accordent ceux qui le jugent sur son peu de notoriété plus que sur ses ouvrages. Mais un certain laisser aller qu’il portait dans la vie était cause qu’il avait, en définitive, peu d’autorité.

Combien les premières années qui suivirent 1815 contrastaient avec celles qui avaient précédé ! Après de si grands événemens, quel calme et quel repos ! On l’a souvent répété ; pour les jeunes gens, c’était comme un bonheur de vivre. Une sorte de mollesse remplaçait alors l’activité et l’agitation d’esprit inséparables de circonstances qui pouvaient exiger à toute heure les plus grands sacrifices. Tant d’épreuves avaient causé une sorte de lassitude, et, quel