Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commençait à peine à former un atelier. L’artiste qui représentait le mieux les idées de ce moment de transition était Pierre Guérin, esprit délicat, maître éclectique, mais dont le rôle n’était pas encore bien défini. Il n’y avait donc plus de direction imprimée aux études ; et, dans ces conditions, il s’établit, entre les idées qui avaient été en lutte depuis le règne de Louis XVI et la Révolution jusqu’à la fin de l’empire, une sorte de conciliation. Elle se fit à Rome, où les élèves des ateliers jusque-là rivaux, laissés à eux-mêmes et vivant dans une étroite camaraderie, se modelèrent sur des raisons communes. Elle eut pour base un amour sincère de la vérité. Ce fut le point de départ d’une réaction dont nous comprenons aujourd’hui la portée : car si l’école de David tendait à l’élimination de la nature, l’école qui s’établissait devait nous conduire à l’élimination de l’antique. Les artistes qui se sont ainsi formés ont été nos maîtres, et nous savons tout ce qu’ils ont valu. La jeunesse d’aujourd’hui les traite légèrement. Et cependant ils ont préparé l’évolution qui marque la fin de notre siècle.

On pouvait espérer que, grâce à l’Exposition du centenaire, nous aurions l’occasion de revoir les ouvrages qui ont établi leur réputation. On est trop disposé à penser qu’ils ont eu, dans leur temps, bonne renommée et autorité sans beaucoup de mérite. A mon sens, un des principaux intérêts qu’aurait dû présenter la solennité rétrospective de 1889 eût été de montrer les œuvres de ces artistes et de leur rendre ainsi un hommage auquel ils ont tous les droits ; de faire connaître l’art contemporain par son histoire et d’honorer ceux qui l’ont enseigné. Le manque d’espace, on le sait, empêcha cette prévision de se réaliser. Il faut donc aller dans les musées de province, dans les églises, aux galeries de Versailles pour voir leurs productions. Quelques-unes existent dans des collections particulières. Ainsi le charmant tableau de l’Amour et Psyché de Picot est chez M. le comte Lemarrois. D’autres ont été longtemps au musée du Luxembourg, comme le Lapithe et le Centaure de M. Alaux. On a pu les exiler, les oublier, mais non les faire déchoir. A l’heure où ils ont paru, ces tableaux, vieux aujourd’hui, semblaient des nouveautés, et leur place est marquée dans les annales de l’école française. Il n’est pas un de leurs auteurs qui n’ait fait, au sens que l’on y attache à présent, quelques bons morceaux de peinture, aucun qui n’ait été pour ses élèves un guide libéral et sûr.

Ils sont encore nombreux, ceux qui conservent pieusement la mémoire de ces hommes excellens. Il ne faut pas l’oublier : c’est chez Drölling que Henner, que Chaplin, que Galland et bien d’autres ont étudié avec Baudry. Léon Cogniet a été le maître de Donnât et de Jean-Paul Laurens ; Picot, de Pils, de Cabanel, de Bouguereau,