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Centaures et des Lapithes. Ce sujet est de ceux que les Grecs ont fréquemment traités et qu’ils ont souvent employés à la décoration des temples doriques. L’œuvre conçue par M. Alaux ne rappelle en rien les données antiques. Un héros s’est élancé sur la croupe d’un centaure. Il l’étreint de ses genoux, le presse du talon ; il va le frapper d’un coup mortel. Barye, en reprenant la même idée près de trente ans après, a rencontré une composition analogue. La peinture de M. Alaux est aisée, suffisamment solide. Les formes sont belles ; la couleur a de la distinction, et je pense qu’un tableau pareil serait encore remarqué au Salon. Parmi les pensionnaires d’alors, M. Alaux est un de ceux qui ont donné le travail le plus régulier. Il aimait à parler de ce temps, qu’aucune autre pensée que celle de vivre de la vie heureuse de l’artiste ne venait occuper. Que ces souvenirs, au fond, étaient ingénus ! Que cette existence était simple, que les distractions que l’on y prenait semblent modestes ! Tout en exécutant les travaux réglementaires, c’étaient des heures consacrées aux plus beaux sites de Rome et des environs. Nos maîtres nous parlaient surtout de certains après-midi passés dans les jardins Farnèse, endroit délicieux à visiter, et d’où, à l’ombre de grands chênes verts, de lauriers et de cyprès, et entre des débris antiques parés d’acanthe et de lierre, on embrassait un incomparable panorama de la ville. C’étaient aussi des courses dans la campagne, des voyages à pied dans les montagnes de la Sabine et d’Albano. M. Alaux était grand amateur de ces excursions, qui n’étaient pas sans objet. D’ordinaire, il les faisait en compagnie de Michallon, qui fut le premier lauréat du paysage historique et aussi le père du paysage moderne. Les deux jeunes gens s’étaient liés étroitement. Michallon voulait toujours être en présence de la nature. M. Alaux le suivait, et c’est ainsi qu’il avait appris à crayonner et à peindre le paysage avec facilité et avec élégance. On sait ce qu’étaient alors ces voyages des pensionnaires. On partait gaîment ; mais, après huit jours d’absence, avec quel bonheur on revenait à l’Académie !

La campagne latine a toujours la même beauté. Mais aujourd’hui il n’est pas facile de se rendre compte de ce qu’était Rome entre 1816 et 1820. Les ruines des monumens antiques avaient un caractère tout autre que celui qu’on leur voit à présent. Les Français, pendant leur administration, avaient veillé sur les antiquités, fouillé le sol, fait des découvertes. Dans les dernières années du premier empire, l’arc de Janus Quadrifrons, le Colisée, le Forum de Trajan, la basilique de Constantin, la colonne de Phocas, avaient été dégagés, du moins en partie, et les architectes pensionnaires de l’Académie avaient ajouté à ce que l’on savait avant eux de la disposition des édifices anciens. Alors le travail des artistes primait, je crois, celui des archéologues, et leurs vues avaient