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poser ses lèvres en donnant un baiser pour que le péché soit véniel.

Les amis de Pascal connaissaient, mais ne lui disaient pas, l’origine de ces dissertations classiques dans les séminaires. Il n’aurait pas pu, s’il les avait connues, faire dire à un père jésuite : « Ce qui nous a donné le plus de peine a été de régler les conversations entre les hommes et les femmes, car nos pères sont très réservés sur ce qui regarde la chasteté ; ce n’est pas qu’ils ne traitent des questions assez curieuses et assez indulgentes, principalement pour les personnes mariées ou fiancées. J’appris sur cela les questions les plus extraordinaires qu’on puisse s’imaginer ; il m’en donna de quoi remplir plusieurs lettres, mais je ne veux pas seulement en marquer les citations. »

Les jésuites n’avaient qu’à copier.

Les affaires d’Abraham le conduisirent en Égypte ; habitué aux sacrifices, il dit à Sarah son épouse : « Je sais que vous êtes belle ; quand les Égyptiens vous auront vue, ils me tueront et vous réserveront pour eux. Dites donc, je vous prie, que vous êtes ma sœur. »

Pharaon désira la belle juive et la paya royalement. Son prétendu frère reçut des brebis, des bœufs, des ânes, des serviteurs, des servantes, des ânesses et des chevaux ; beaucoup plus sans doute qu’elle ne valait. Pharaon la rendit quand elle eut cessé de plaire, et les dons reçus en échange accrurent les richesses d’Abraham.

On a osé reprendre Abraham du péché de mensonge tout au moins. Saint Augustin n’y veut pas consentir. « L’action d’Abraham, dit-il, semble d’abord celle d’un mari qui livre sa femme au crime ; mais elle ne paraît ainsi qu’à ceux qui ne savent pas distinguer, par les lumières de la foi, les bonnes actions d’avec les péchés. »

Le patriarche ne consentait pas à l’adultère de Sarah ; mais, en cachant qu’elle était son épouse, son intention était que les étrangers ne le tuassent pas. Abraham avait de bonnes raisons pour ne pas vouloir être tué ; saint Augustin les approuve : « Il craignait qu’après sa mort la belle Sarah ne fût traitée en captive. » Il préférait que ce fût avant.

Saint Augustin, l’oracle des jansénistes, est précurseur de la morale facile. Pascal, nourri de l’Écriture, aurait pu dans ce souvenir, par respect pour un patriarche, sinon pour un si grand saint, trouver une excuse pour les jésuites.

L’habitude de réduire la charité en maximes de droit et, malgré le précepte de l’apôtre, de semer des questions infinies en appli-