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table de quinze. Mme de Polignac recevra-t-elle toute la France ? interroge le prince de Ligne. — Oui, répond de l’Isle, trois jours de la semaine : mardi, mercredi, jeudi. Pendant ces soixante-douze heures, ballet général ; entre qui veut, dîne qui veut, soupe qui veut. Il faut voir comme la racaille des courtisans y foisonne. On habite, durant ces trois jours, outre le salon, toujours comble, la serre chaude, dont on a fait une galerie, au bout de laquelle est un billard. Les quatre jours de la semaine qui ne sont point ci-dessus dénommés, la porte n’est ouverte qu’à nous autres favoris. Vous y êtes attendu. Mme de Polignac couchera-t-elle avec M. le dauphin (le fils de Louis XVI) ? Il a été spécialement énoncé qu’elle couchera avec qui elle voudra. Seulement une porte de glace, pratiquée entre sa chambre et celle du dauphin, laisse voir de l’une tout ce qui se passe dans l’autre (24 novembre 1782. Mme de Polignac venait de remplacer Mme de Guéménée).

Quels sont et qui sont les autres favoris, les habitués du salon, de la ville Jules, de l’hôpital Jules, comme dit familièrement de l’Isle ? Parmi les parens : Diane de Polignac, la duchesse de Guiche, fille de Mme de Polignac, pour laquelle Grimm répétait le vers d’Horace :


Matre pulchra filia pulchrior ;


le comte de Polastron, son frère, « une nullité qui joue du violon ; » la comtesse de Polastron, la bichette Polastron, qui pleure en apprenant que son mari va en Amérique : « ses joues ressemblaient à des fleurs couvertes de rosée, » qui pleurera bien plus amèrement quand elle aimera le comte d’Artois ; Mme d’Andlau et de Mun, les deux filles de Mme Helvétius, surnommées les deux Étoiles, à cause de leurs charmes et en souvenir d’un conte où une mère, interrogée par sa fille sur ce que devenaient les vieilles lunes, répondit que le bon Dieu les cassait en morceaux pour faire les étoiles de son firmament ; ensuite le duc de Guines, le bailli de Crussol, le chevalier de Luxembourg, le marquis de Conflans ; le duc de Lévis[1], qui plus tard publiera des ouvrages remarquables par la finesse des pensées, le ton d’urbanité élégante, un des premiers parmi les moralistes de second ordre ; le comte de Ségur, autre écrivain polygraphe, l’homme qui, grâce à sa bienveillance et sa parfaite éducation, sut le mieux peut-être faire accepter ses métamorphoses politiques, maître accompli et tout à fait supérieur dans

  1. Voyez la Revue du 1er octobre 1889. — Les Causeurs de la Révolution, 2e édit., in-18 ; Calmann Lévy.