Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au temps de Frédéric-Guillaume 1er, il s’en fallait qu’il lût exclusivement composé de nobles. Mais, sous Frédéric II, son caractère aristocratique s’était affirmé de plus en plus. C’était un préjugé enraciné du grand roi que seule la noblesse avait le sentiment de l’honneur, aussi interdisait-il aux bourgeois la direction de ses troupes. Lorsque, à la suite des désastres de la guerre de sept ans, la disproportion entre l’effort qu’il soutenait et les ressources des territoires qu’il gouvernait, l’obligea à faire usage de tous les élémens qu’il pouvait rassembler, il admit des officiers roturiers ; mais, au lendemain de la paix, il congédia, sans une précaution et sans aucune ressource, ces hommes qui avaient versé leur sang pour l’état prussien.

En temps normal, le recrutement des officiers était réservé aux chefs des régimens. — C’était d’eux qu’il dépendait d’admettre, dans leurs régimens, les Junker, c’est-à-dire les jeunes nobles qui venaient, à l’âge de douze, treize ou quatorze ans, y commencer leur apprentissage militaire au détriment de leur instruction générale. — Comme les familles nobles paraissaient manifester, vers la fin du XVIIIe siècle, une sorte de préférence pour les services civils, le roi intervint plus d’une fois pour exercer une véritable presse. Mais c’était, en somme, par les chefs de régimens, c’est-à-dire par une sorte de cooptation, que se recrutait le corps d’officiers. L’avancement ultérieur appartenait au roi. En 1806, sur les 7 à 8,000 officiers prussiens, l’on n’en comptait que 695 sans titres de noblesse, et l’on en comptait plus de 1,000 venus de l’étranger.

L’arrogance de ces officiers, qui étaient en même temps des privilégiés, était devenue intolérable ; leur outrecuidante légèreté, leur brutalité pour tout ce qui leur était étranger, le double orgueil de la caste aristocratique et d’une autorité militaire, dont l’arbitraire était presque sans limite, les avaient rendus de plus en plus odieux. Dans mon État, disait Frédéric II, un lieutenant est plus qu’un chambellan, et, encore à la fin du siècle, tout était permis à l’officier, non-seulement contre le bourgeois, mais contre les plus hauts fonctionnaires civils. Dans le comté de la Mark, en 1795, Ruchel insultait publiquement le président de la chambre provinciale, et le général qui commandait à Potsdam même, mécontent des dispositions prises lors d’un incendie, rouait de coups de ses propres mains le bourgmestre et le directeur de la police. La séparation entre l’armée et la nation, l’hostilité même, était devenue, d’année en année, plus aiguë.

Il y avait eu, du moins, sous le règne de Frédéric II, des compensations à ces vices fondamentaux. L’armée prussienne sous le grand roi avait eu, malgré tout, l’incontestable supériorité que