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conviction que le patriotisme découlera de l’émancipation sociale, — toutes les faces diverses d’une même idée.

Ce n’était point que les réformateurs prussiens ne rencontrassent des contradictions ardentes. Ils avaient en face d’eux les traditions mécaniques de l’ancienne armée frédéricienne. Ils entraient en opposition avec cet esprit cosmopolite, tout imprégné des tendances françaises du XVIIIe siècle, qui, chez des hommes comme Massenbach et Kalkreuth, voilait même l’idée de patrie, et les portait à oublier, dans leur admiration aveugle pour Napoléon, qu’il était l’ennemi de l’Allemagne et de la Prusse. Ils se heurtaient surtout, et cette hostilité était bien plus violente et plus passionnée que l’autre, à toute l’ardeur de l’esprit de caste et du privilège nobiliaire.

On allait ouvrir le corps d’officiers aux roturiers, et York s’élevait avec violence contre cette faiblesse déplorable envers les « cosmopolites et les raisonneurs. » Même sous l’ancien régime, les noms de Derfilinger, de Grollmann, de Gunther, de Tempelhof, ne prouvaient-ils pas que le talent savait toujours se faire jour, et « fallait-il, sous prétexte que Sixte-Quint avait été gardeur de pourceaux, courir après tous les gardeurs de pourceaux que Dieu a faits, de crainte qu’il ne se trouvât parmi eux un génie caché ? »

En s’attaquant à cette base fondamentale de l’état prussien, à ce principe qui destinait la noblesse à l’armée et lui réservait l’état d’officier, on portait la main sur un droit sacré de la noblesse. Si l’on attribuait ce même droit à tous, que devenaient alors les devoirs de la noblesse ? Quel titre aurait-on pour y faire appel ? « Et, disait York au prince Guillaume qui défendait les réformes, si votre altesse royale nous ravit nos droits, sur quoi reposent donc les siens ? »

Lorsque, avant 1806, on avait proposé de mettre à pied les officiers subalternes, Schulenburg-Kehnert, porte-parole du préjugé nobiliaire, avait combattu cette mesure en termes caractéristiques.

« Cette noblesse nombreuse, écrivait-il, qui remplit chez nous les postes d’officiers subalternes, et qui, de l’aveu de l’Europe entière, fait la force et la supériorité de notre armée, se sentirait humiliée par une mesure qui l’assimilerait au simple soldat, et ravalée au-dessous de la situation que sa naissance et son éducation lui assurent. Les uns, plus aisés, quitteraient le service ; les autres, retenus par la nécessité, perdraient le sentiment de leur dignité. Ils ne seraient plus respectés du simple soldat. »

Marwitz était encore plus virulent contre les idéologues et les philosophes, contre cette destruction de l’esprit militaire, soldatenmörderischen Einrichtungen, Mais, écrivant vers 1830, alors que