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bouche d’un paysan tel que Sancho. L’ignorance d’un maître d’école, quelque profonde qu’on la suppose, doit, je pense, être toujours mêlée d’un peu de pédantisme ; c’est, en tout cas, une ignorance d’une espèce particulière qui ne saurait avoir la moindre analogie avec la charmante ingénuité de l’enfance[1].

Les trois membres de la famille Western : le père, la tante et Sophie, sont parfaits de tous points. Le squire Western représente, avec une intensité de vie incomparable, la déraison de l’homme de premier mouvement, pur animal capable des sentimens communs à l’homme et à la brute, incapable du jugement et du raisonnement qui les distinguent. Veuf, il a au monde deux passions, sa fille et la chasse, ou plutôt la chasse et sa fille ; car, Sophie ayant fui de la maison paternelle, il se précipite à sa poursuite, rencontre un lièvre, prend le change et laisse échapper la demoiselle. Il l’adore d’ailleurs. « Il aime mieux la musique de sa voix que celle de la meilleure meute de toute l’Angleterre ; » mais il l’enfermera brutalement sous clé et la mettra au pain et à l’eau pour la forcer d’épouser Blifil. Il ne faut pas essayer de raisonner avec lui, puisqu’il n’a jamais pu mettre deux idées ensemble. Au digne monsieur Allworthy, qui lui rappelle sa promesse de ne pas employer la violence, il répond avec emportement : « Oui, mais c’était à condition qu’elle obéirait sans ça. Par le diable et le docteur Faust ! est-ce que je ne peux pas faire ce que je veux de ma fille, surtout quand je ne désire que son bien ? » Au curé Supple, qui l’adjure de ne pas la maltraiter, il crie : « Ah ça ! vas-tu pas venir aboyer après moi, toi ! Si tu te mets à jacasser, je vas te faire rentrer à grands coups de fouet tout à l’heure… Est-ce que tu te crois dans ta chaire, ici ? Quand tu y es grimpé, donne-t’en à ton aise ; je ne m’occupe jamais de ce que tu dis. » Le jour où Tom sauve la vie à Sophie, Western, enthousiasmé, lui offre tous les chevaux de son écurie, « à l’exception seulement du Chevalier et de miss Slouch ; » mais, lorsqu’on lui découvre l’amour des deux jeunes gens, c’est plus que de la fureur qu’il éprouve : il reste hébété et stupide, comme un homme qui n’y comprend rien. « Il regardait la parité de fortune et de condition comme un ingrédient du mariage aussi matériellement indispensable que la différence des sexes, et il n’avait jamais craint que sa fille pût tomber amoureuse d’un jeune homme pauvre, non plus que d’un animal d’une autre espèce. » Tom, d’ailleurs, n’a pas laissé paraître le moindre amour pour Sophie : Western s’en serait bien aperçu ! « Est-il possible, lui

  1. La première fois que nous avons lu quelques fragmens de la scène de Partridge au théâtre, dans un Essai de Macaulay qui la cite en partie, nous n’avons pas douté que Partridge ne fût un enfant que ses parens avaient conduit au spectacle.