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après avoir envoyé quelques balles, elles se mirent, à leur tour, à rouler des morceaux de rocher à qui mieux mieux. Après s’être arrêtés, les Turcs commençaient à reculer.

Un moment, Melitza voulut reprendre haleine. Les poings sur les hanches, elle observait reflet de la terrible avalanche qu’elle venait de déchaîner, quand soudain une tête, surmontée d’un fez, apparut sur la gauche, derrière un rempart de rochers. C’était un chasseur turc qui avait entrepris, à lui tout seul, de tourner notre petite position. Pendant qu’il franchissait bravement l’obstacle, Melitza recula de quelques pas, arracha les pistolets de la ceinture de son mari et abattit, presque à ses pieds, ce soldat téméraire avant qu’il eût le temps de la mettre en joue. Elle se pencha sur lui pour voir s’il ne possédait pas quelque objet précieux à sa convenance. Elle ne trouva rien. Alors, elle le poussa du pied avec mépris jusqu’au bord du ravin, et le malheureux, respirant encore, roula du haut en bas de la paroi rocailleuse.

Tout à coup, de notre côté, partit le signal pour la marche en avant. À ce signal, toute l’armée monténégrine, habilement postée dans les montagnes, se précipita, de toutes les hauteurs, comme des avalanches, vers le fond de la vallée. Ce fut comme un déchaînement de torrens humains inondant les plateaux, se déversant, par tous les sentiers qui s’offraient, pour aller grossir en bas le flot qui montait à chaque instant, menaçant d’exterminer l’armée turque. On aurait dit des bandes de loups fondant sur une proie colossale prise au piège. Les Monténégrins sautaient de rocher en rocher, bondissaient comme des tigres, par-dessus les crevasses, en poussant des cris sauvages, un pistolet dans chaque main, le kandjar entre les dents.

Les voilà tous en bas, chargeant avec fureur les Turcs surpris. Les fusils, les pistolets étincellent et crépitent, les kandjars se lèvent et retombent sans cesse, fendant l’air comme des flammes ardentes.

De loin, Karaditch contemplait la lutte, désolé de ne pouvoir y prendre part.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! s’écriait-il, comme ils se battent bien ! Ils vont vaincre sans moi !

Soudain, sans dire un mot, Melitza chargea le prince sur son des et le porta, par un sentier étroit et rapide, jusqu’au plus fort de l’engagement, suivie de la petite Jana, qui traînait péniblement derrière elle un lourd fusil. Mais, à ce moment, la lutte touchait à sa fin.

En une demi-heure, les Monténégrins étaient sortis victorieux d’un combat de géans. Quarante mille Turcs étaient tués ou faits