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quitté Malte pour être au rendez-vous. Il ne pouvait y avoir de doute pour la France, qui ne faisait que rendre au roi d’Italie la politesse que celui-ci avait eue pour elle en envoyant, il y a quelque temps, son escadre devant Toulon, pour saluer M. le président Carnot. Tout semblait se préparer à la Spezzia pour donner plus d’éclat à la fête présidée par le souverain et à la réception des escadres étrangères, lorsque tout d’un coup un bruit singulier s’est répandu. Le roi Humbert ne va plus à la Spezzia ! Les escadres n’ont plus par conséquent à paraître, — et ce qu’il y a peut-être de plus piquant, c’est que si l’escadre anglaise n’est pas allée à la Spezzia, ou si elle n’y est allée que depuis, en passant, elle est allée d’abord à Toulon, où officiers anglais et français viennent d’échanger les témoignages de la plus sérieuse cordialité. Que s’est-il donc passé ? Les commentaires n’ont pas manqué. On a dit que des difficultés diplomatiques seraient survenues entre l’Angleterre et l’Italie au sujet d’une circulaire de M. Crispi, ou de l’Afrique, que l’amiral Hoskins aurait reçu au dernier moment l’ordre de ne point paraître devant la Spezzia et que le roi Humbert aurait voulu éviter de donner plus d’éclat à cet incident. On a dit aussi pour la France, puisqu’on dit tout, qu’on avait réfléchi à Rome, qu’on n’avait pas voulu affecter de rechercher un rapprochement avec notre pays, qu’on avait craint, à l’occasion de la présence des navires français, des démonstrations qui offusqueraient à Berlin, qui seraient un embarras pour le gouvernement. On a dit ce qu’on a voulu. Que le roi Humbert aille ou n’aille pas à la Spezzia, le fait n’est pas par lui-même bien sérieux, n’importe : si l’Italie est obligée de se faire le gendarme de l’Autriche contre « l’irrédentisme », si elle en est réduite à tout calculer pour ne point offusquer d’ombrageux alliés, elle paie cher une politique extérieure qui, en enchaînant sa liberté, ruine de plus ses finances.

Depuis que les États-Unis sont devenus au-delà de l’Atlantique une grande et colossale puissance, l’Europe s’en est certainement ressentie de toute façon. Elle s’en est ressentie dans sa politique, qui a eu plus d’une fois à se débattre sur les mers, dans toutes les régions du Nouveau-Monde, avec la diplomatie ombrageuse et opiniâtre de Washington ; elle s’en ressent tous les jours dans son commerce et son industrie, qui ont trouvé dans l’industrie et le commerce américains une concurrence redoutable, qui ont de plus à lutter contre ce protectionnisme à outrance dont le plus récent spécimen est ce qu’on appelle le bill Mac-Kinley. Il ne s’agit plus du premier bill Mac-Kinley, de celui qui, par les formalités multipliées qu’il entraîne, par les minutieuses rigueurs de contrôle qu’il impose à l’entrée dans les ports américains, semble avoir été imaginé pour décourager le commerce étranger. Celui-là a été voté, il est déjà appliqué, et à en juger par ce commencement d’expérience, on ne voit pas que la pratique en atténue les