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substances, égale à la puissance qui les crée. La guérison à distance du fils de l’officier de Capharnaüm prouve que la parole de Jésus est souveraine et qu’elle agit malgré l’espace. La multiplication des pains accuse sa force créatrice ; sa marche sur les eaux et la tranquillité imposée à la tempête, son autorité absolue sur la nature ; la guérison du paralytique de Béthesda révèle que le mal le plus invétéré ne lui résiste pas ; l’aveugle-né atteste qu’il est le principe de la lumière, et la résurrection de Lazare démontre qu’il est le Maître de la mort et de la vie.

Ses discours, tels que Jean les rapporte, par fragmens, ne sont que l’expression de sa nature divine, de sa vie intime, de ses rapports avec le Père, de son égalité absolue avec lui, en essence, en pouvoir, en activité. Sans doute, il tient tout du Père ; mais cette origine, en établissant sa distinction personnelle du Père, est sans préjudice de son égalité absolue, puisque le Père lui a tout donné dès l’éternité, en l’engendrant comme son Fils unique. Et en révélant ces mystères intimes, on remarquera que Jésus n’émet aucune doctrine, il atteste seulement des faits intérieurs dont il a la conscience totale, des faits transcendant, puisqu’ils constituent la vie même de Dieu[1].

il donne enfin la révélation la plus profonde de son œuvre, qui consiste à communiquer à tous ceux qui croient, l’Esprit de son Père et le sien. C’est l’idée qu’on retrouve au fond des paraboles que l’Évangéliste a rapportées. L’Eau vive dont il parle à la Samaritaine, le Souffle mystérieux dont il est question dans l’entretien avec Nicodème, la Source jaillissante du rocher, la Lumière qui éclaire le monde, le Berger qui conduit les brebis et qui les mène aux pâturages, tous ces symboles expriment l’Esprit mystérieux et divin de Jésus, la force par laquelle son œuvre s’accomplit dans le secret des âmes et dans l’humanité.

Il n’y a, dans ces discours religieux, aucune métaphysique abstraite. Jésus, tel que le révèle saint Jean, n’est pas plus un philosophe que le Jésus des trois premiers Évangiles. Il ne vient pas démontrer la vérité par des raisonnemens ni exposer un système religieux. Sa parole est l’expression pleine, vivante, adéquate de ce qui est ; la loi morale, c’est sa volonté et son esprit ; Dieu, pour lui, c’est l’Être vivant, aimant, tout-puissant, le Père ; il en traduit en langue humaine, non pas la conception intérieure qu’il s’en fait par une vue systématique, mais la réalité dont il a la perception immédiate.

Les trois premiers Évangiles racontent ce qui se voit en Jésus, le quatrième ce qui ne se voit pas. Mais comme le visible a toujours

  1. Jean, V ; X.