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Ils se souviennent : voilà tout, et ils écrivent leurs souvenirs selon que l’Esprit les leur suggère ou que d’autres témoins peuvent leur permettre de les mieux préciser.

Certains événemens ont plus frappé les uns que les autres ; le récit en est plus détaillé, plus vivant, plus frais de couleur. Les circonstances dans lesquelles chacun des Évangélistes a écrit ont été aussi l’une des causes positives du triage et du choix des faits et des paroles sans nombre qu’ils avaient pu voir ou entendre dans la vie de leur Maître. Le cercle des lecteurs auxquels ils s’adressaient n’a pas peu contribué non plus à modifier leur œuvre. Ils ne pouvaient parler à des Juifs niant la messianité de Jésus comme à des païens sans préjugé juif ; à des simples sans culture comme à des convertis, nourris dans la Gnose judaïque ou grecque ; à des Églises où les Juifs prétendaient allier la liberté évangélique avec la servitude légale comme à des Églises affranchies de ces questions irritantes. Celui qui avait été admis, dès la première heure, à l’intimité du Maître, qui avait concentré dans son âme aimante les meilleures confidences de Jésus, qui, plus que tout autre, avait été frappé par les entretiens où il révélait sa nature divine, sa filiation éternelle, les profonds mystères de la foi et du salut par l’Esprit, devait évidemment laisser passer dans son témoignage une suavité, une tendresse, un charme, une vivacité de souvenir que nul autre n’égale. Mais toutes ces différences s’évanouissent dans un fait supérieur et dans une unité plus haute.

Tout, dans l’œuvre de chaque Évangéliste, vient de Jésus. C’est lui et lui seul qu’on voit vivre, lui seul qu’on entend. Le discours sur la montagne, les paraboles, les discussions avec les Pharisiens et les Sadducéens, les instructions aux douze apôtres et aux soixante-douze disciples, les anathèmes contre les faux docteurs, la prédiction de la ruine du Temple et de Jérusalem, les annonces répétées de sa passion future et de sa mort, ses entretiens avec la Samaritaine et avec Nicodème, les affirmations solennelles de sa messianité, à la face des grands de Jérusalem, sous le portique de Salomon, les déclarations prodigieuses de sa nature divine, de son égalité avec le Père, de sa fonction messianique symbolisée par le rocher de l’Horeb, par les lumières de la fête des Tabernacles, par tous les grands faits de l’histoire juive et par le culte qui rappelait les faits : tout est la parole de Jésus. Prétendre que les Évangélistes, et notamment le quatrième, auraient prêté des discours à leur Maître, l’auraient fait parler, comme Tite-Live les généraux romains, c’est leur enlever le seul titre dont ils se réclament tous formellement ; c’est méconnaître le respect infini qu’ils portaient à leur Maître ; c’est ébranler et contredire, sans aucun motif positif, la tradition universelle, ininterrompue ; c’est faire mentir celui qui a dit