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avec une insistance solennelle : « Ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de la Vie; — oui, la Vie s’est manifestée, et nous avons vu, et nous attestons et nous annonçons la Vie éternelle, celle qui était auprès du Père, et elle nous est apparue, — Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons[1]. »

On s’explique ainsi comment ces pêcheurs de Galilée, ces natures incultes, ont pu écrire un livre pareil aux Évangiles : ils n’ont eu qu’à se souvenir. S’ils avaient composé un dialogue à la Platon, ou quelque traité à la Philon d’Alexandrie, on aurait cru à leur génie; et leur génie eût paru suspect. Ils auraient mis de leurs idées et de leur création dans l’œuvre. Mais ils ne savaient rien. Tout ce qu’on peut remarquer en eux, c’est que, sous l’action constante de Jésus, ils ont dépouillé peu à peu les préjugés populaires de leur race, et accepté, dans une foi pleine, les exemples, la parole de leur Maître. Ils n’existent plus, à proprement dire; c’est leur Maître qui est tout en eux.

Dans bien des cas, je préfère, comme critique, le paysan simple au philosophe subtil et avisé.

Le premier me dira bonnement ce qu’il a vu ; l’autre voudra me l’expliquer. Ce qui intéresse l’historien, c’est d’abord le fait ; l’explication du fait ne vient qu’après. En toute hypothèse, avant d’expliquer les phénomènes, il importe de les constater. Je me délie pour cette opération de l’esprit trop cultivé : il a toujours devant les yeux son système. Il appelle cela un instrument perfectionné. Ne se fait-il pas illusion? C’est un instrument perfectionné pour voir ce qu’on veut et ne pas voir ce qui ne nous convient point.

Le caractère testimonial des Évangiles repose non-seulement sur l’intention expresse des rédacteurs, solennellement formulée par eux, mais encore et principalement sur la volonté de leur Maître : — « Allez, leur a-t-il dit en les quittant, enseignez les nations et apprenez-leur tout ce que je vous ai confié. Je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[2]. Vous êtes les témoins de ces choses[3]. Vous recevrez la vertu de l’Esprit-Saint survenant en vous, et vous me rendrez témoignage à Jérusalem et dans toute la Judée, en Samarie et jusqu’aux confins de la terre[4]. »

Leur parole ne sera pas un simple souvenir humain, livré aux hasards de la mémoire et de la conscience fragiles ; elle sera gardée,

  1. Ephés., I, 1-3.
  2. Matth., XXVIII, 19. 10.
  3. Luc, XXIV, 48.
  4. Act., I, 8.