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force puissante? Et puisque cette tradition est la gardienne vivante des Évangiles, n’est-ce pas à elle qu’il faut avoir recours, en bonne, en impartiale critique, pour les comprendre, pour savoir leur origine et leur teneur?

Tout livre, séparé de la société à laquelle il appartient et dont il forme un élément précieux, est à la merci du premier venu.

Les Évangiles, arrachés à la tradition religieuse, dont ils sentie plus antique et le plus sacré monument, ont été la proie de tous.

Pour les faire parler, il fallait les ranimer ; car l’âme d’un document est dans le milieu qui l’a inspiré, dans les idées qui dominaient ce milieu, dans les passions qui l’agitaient, dans les coutumes qui le caractérisaient. Ils ont essayé de reconstituer artificiellement ce milieu, et, naturellement, c’est à l’Église qu’ils ont emprunté, aux livres de ses docteurs, aux ouvrages même qu’ils avaient devant eux et cherchaient à comprendre. L’école de Tubingue, entraînée par Baur[1], s’est signalée particulièrement dans cette évocation difficile. Sa grande hypothèse a été convaincue d’arbitraire et d’exagération. Ne voir dans le christianisme primitif du Ier et du IIe siècle que l’antagonisme des judéo-chrétiens, représentés par Pierre, Jacques et Jean, et du christianisme universaliste, représenté par Paul, c’est borner à plaisir l’horizon, donner à un détail la valeur de l’ensemble, prendre un trait qu’on force outre mesure pour en composer toute une physionomie. Tous les écrits apostoliques, et les Évangiles en première ligne, ayant été interprétés à ce point de vue étroit et exclusif, on devine ce qu’ils sont devenus aux mains de la critique et de son école.

Qu’est-il résulté de ce travail acharné pour la solution du problème qu’on posait aux documens?

A-t-on expliqué leur mode de formation, trouvé le secret de leur ressemblance et de leur divergence? A-t-on pénétré la raison de l’unité indissoluble qui les rapproche comme les membres d’un même corps? A-t-on découvert l’ordre exact de leur origine ?

Il suffit de parcourir les ouvrages sans nombre écrits sur ce sujet pour constater l’impuissance radicale de ceux qui ont soulevé ces divers problèmes.

Toutes les hypothèses ont été soutenues.

Les uns ont admis un Évangile source dans lequel les trois premiers Évangiles auraient puisé[2]. Herder les combattit; nos Évangiles, selon lui, tirent leur origine d’un Évangile oral. Des

  1. Vorlesungen über Neu-Test. Théologie.
  2. Eichhorn, Einleitung in d. N. Test.