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de douleur, d’humiliation et de mort qui formait un des caractères essentiels du vrai Messie, ils n’ont pas su s’élever jusqu’à sa nature divine et allier dans une synthèse hardie ce double mystère de la divinité et de l’humanité souffrante qu’il portait en lui. Ils n’ont pu reconnaître l’imperfection de leur loi qui devait disparaître devant la loi vivante du Christ; et, bien que leur aveuglement opiniâtre devant le Messie eût été annoncé par leurs prophètes, ils ne se sont pas doutés de leur opiniâtreté ni de leur aveuglement; et ils se sont brisés contre la pierre de l’angle sur laquelle tout l’édifice de Dieu allait se construire.

Quelques hommes, quelques élus parmi les ignorans et les simples, — les plus dédaignés, — ont été seuls initiés à la vérité messianique. Ils ont appris, à l’école de Jésus, ce que les sages de la nation n’avaient pu voir. Leur loi a confessé, à la lumière de l’Esprit, la filiation divine et le mystère effrayant des douleurs du Fils de l’homme. Ils ont reconnu en lui le Lion invincible de Juda et l’Agneau de Dieu qui se laisse égorger. C’est à eux, à ces pauvres gens sans culture que nous devons de connaître « Celui qui, tout en étant dans la forme de Dieu, s’est anéanti lui-même dans la forme d’une créature, obéissant à son Père jusqu’à la mort et jusqu’à la croix, » — Ce supplice des esclaves.

En répudiant Jésus, en s’obstinant à le méconnaître, les Juifs ont perdu le sens vrai de leur Livre. Ils le gardent pourtant et ils le lisent, mais ils ne le comprennent plus. C’est pour eux un livre fermé et voilé. L’idée, le héros, l’œuvre messianique en forment le lien, l’unité, la vie : or, ces choses leur échappent : elles n’ont de sens que dans la doctrine, la personne et l’œuvre de Jésus.

Il y a là un phénomène unique dans l’histoire, nous le recommandons à tous ceux qui nient le prophétisme et les prophéties.

Toute la Bible est messianique. Étudiée dans son esprit, dans son sens le plus profond et le plus vrai, elle regarde ce personnage de l’avenir; elle le promet et l’appelle; elle le décrit, le figure et le prépare. Les plus grands docteurs parmi les Juifs, les targumistes du Ier et du IIe siècle, les Onkélos, les Jonathan et les Akiba, n’ont jamais hésité à interpréter ainsi le livre sacré. Les passages que nous avons cités ne faisaient aucun doute pour eux ; et en les entendant comme nous, ils ne se doutaient pas qu’ils préparaient leur propre confusion; car c’est au Prophète anathématisé par le Sanhédrin, au seul Crucifié triomphant, que peuvent convenir les grandes paroles des voyans d’Israël.

Les exégètes modernes, témoins du triomphe persistant de Jésus, n’ont eu d’autre ressource, pour ébranler la prophétie, que d’attaquer la réalité de l’histoire évangélique ou d’effacer, par une interprétation étroite, la prophétie de cette histoire. Ils ont repris la