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propres idées aux sentimens et aux idées qu’il essaie de représenter. C’est en mêlant le moderne à l’antique qu’on altère presque toujours l’histoire du passé.

L’œuvre historique est d’abord descriptive, picturale. Elle doit peindre les faits exactement, les reproduire dans un récit animé et coloré qui les rende présens aux yeux du lecteur, malgré les siècles, et qui les fasse revivre, malgré la mort. Je ne crois pas qu’aucun livre, à ce point de vue, puisse être comparé aux Évangiles. Les scènes qu’ils racontent, les tableaux qu’ils dessinent sont des modèles d’esthétique. Ils ont la simplicité et la grandeur, la sobriété et les détails expressifs. Sans se soucier des règles de l’art, qu’ils ne connaissent guère, uniquement préoccupés de raconter fidèlement, dans une langue à peine correcte, la vie de leur Maître, tout remplis de leurs souvenirs, ils ont laissé un monument achevé, comme histoire descriptive. J’ai reproduit leur récit avec une fidélité scrupuleuse, et afin de le rendre exactement, j’ai respecté jusqu’aux incorrections parfois si expressives dans leur rudesse. Il m’eût semblé que je le profanais en y ajoutant ou en y retranchant. Ce sont des tableaux de maîtres hors ligne. On ne touche pas aux chefs-d’œuvre.

Pourquoi, alors, entreprendre après eux d’écrire sur Jésus ? Les Évangiles sont parfaits, et ils suffisent ; tout ce qu’on peut tenter, c’est de les mettre en concordance et de les traduire dans nos langues modernes.

Mais l’histoire n’est pas seulement une narration de faits ; si elle est d’abord et avant tout une œuvre picturale, elle a le devoir d’encadrer les faits et de les replacer dans leur milieu.

Tout événement est soumis à la loi du temps et de l’espace. La raison ne le conçoit qu’en le rapportant au point de l’espace où il s’est accompli, et au point du temps qui l’a vu se produire. Le point de l’espace nous est indiqué par la géographie ; le point du temps, par l’histoire générale des peuples et de l’humanité. La description d’un fait n’est complète qu’à la condition de le montrer non-seulement en lui-même, mais dans ce double milieu qui l’enveloppe. Il est même souvent incompréhensible et il reste inexpliqué, si nous l’isolons de son cadre.

Lorsqu’on écrit sur les événemens contemporains, pour des contemporains, on suppose qu’ils connaissent le théâtre géographique et historique de ces événemens, et on leur laisse, en racontant les faits, le soin de les y placer. Ainsi ont fait les Évangélistes, en écrivant la vie de leur Maître pour les premiers chrétiens. D’ailleurs, le fait brut leur suffisait ; il contenait toujours quelque élément éternel, supérieur au temps et à l’espace, et en négligeant à dessein peut-être les conditions de temps et de milieu, ils plaçaient